mercredi 23 octobre 2013

Chuck Palahniuk, Générateur de Chaos



J'ai lu mon premier bouquin de Chuck Palahniuk quand j'avais quinze ans. A peu près en même temps que Poppi Z. Brite, John Irving et Will Self. Autant vous dire que ça m'a fait l'effet d'une claque monumentale, d'un big bang littéraire (et philosophique).

C'est par Berceuse que j'ai commencé, après qu'on me l'ait gracieusement offert - peut-être parce qu'à l'époque, j'aurais bien aimé pouvoir tuer tout le monde par la pensée. Pour vous expliquer un peu, la Berceuse en question est une comptine africaine traditionnelle, contenue dans un livre pour enfants normal, qui a pour particularité de tuer les personnes à qui on la lit (mentalement ou à haute voix). Inutile de vous relater les conséquences dramatiques que peut engendrer ce petit poème... Si ce livre fricote avec amusement un genre très fantastique, il se veut, comme toute l'oeuvre de l'auteur, un puissant satire de l'Amérique.
"Ce bon vieux George Orwell a tout compris à l’envers. Big Brother ne surveille pas. Il chante et il danse. Il sort des lapins d’un chapeau. Big Brother est tout entier occupé à attirer votre attention à chaque instant dès que vous êtes éveillés. Il fait en sorte que vous soyez toujours distraits. Il fait en sorte que vous soyez pleinement absorbés. Il fait en sorte que votre imagination s’étiole. Jusqu’à ce qu’elle vous devienne aussi utile que votre appendice. Il fait en sorte que votre attention soit toujours remplie."

Fight Club en a été la suite logique pour moi, étant donné que le film avait déjà bien fait parler de lui. Étonnamment, je trouve que ça a été une très bonne adaptation du roman, ce qui n'est pas un mince défi. De quoi retourner un peu le cerveau d'un adolescent en pleine rébellion contre la société.
"C'est seulement quand on a tout perdu qu'on est libre de faire tout ce que l'on veut." 
Je ne vous parlerai pas trop de celui-là parce que tout a déjà été dit, même si je trouve qu'il tape au plus juste de sa cible. Même s'il a été jugé souvent très violent, il faut rappeler que la violence exercée dans Fight Club n'a fait de mal à personne, seulement à leurs convictions et à leurs possessions.

Cependant, le livre n'a pas eu tant de succès à sa publication, il a fallu attendre un peu plus que la sortie du film pour le projeter comme un auteur culte. Il parle d'ailleurs de cette époque et de son apogée avec beaucoup d'humour à la fin de son recueil Festival de la couilles et autres nouvelles (qui recense un petit paquet de portraits de personnalités américaines telles que Juliette Lewis ou Marylin Manson, mais aussi de citoyens lambda, et qui finit par un petit florilège d'anecdotes le concernant).
"Parce que si vous ne pouvez pas contrôler votre vie, vous pouvez au moins maîtriser votre version. "

Un point commun entre Fight Club et Choke, son autre livre adapté au cinéma (par contre celui-ci est plutôt un navet comparé à son prédécesseur), ce sont ces réunions pour personnes désespérées, soit parce qu'elles sont au seuil de la mort, soit parce qu'elles sont totalement accro à quelque chose qui les tue petit à petit. Ces réunions, Chuck Palahniuk y a assisté souvent, pour écrire ses livres, et ont quelque chose de touchant. D'ailleurs, il a aussi travaillé pendant un certain temps comme volontaire dans les hospices, un autre point majeur de ce livre. Il se sert donc souvent de sa vie comme propulseur pour écrire ses romans, quand ce n'est pas l'inverse qui se passe. En tout cas, on s'y croit.
"Les lois qui nous maintiennent en toute sécurité, ces mêmes lois nous condamnent à l'ennui."

Monstres Invisibles était sensé être sa première publication, mais il a été jugé trop trash pour être édité en premier lieu. Ce qui n'est pas faux : la violence, l'horreur, l'excès de zèle, le sexe et le cynisme sont les muses de l'auteur. Mais après tout, n'est-ce pas non plus ce qui ressort le plus de la société actuelle ? Si c'est choquant dans un livre, est-ce que ça ne devrait pas plus nous outrer dans la réalité des choses ? Conte de fée raté reconverti en road-trip à la gueule arrachée, bourré aux substances chimiques, ce livre à la narration biscornue est pourtant aussi l'un de ses plus poignants.
"Vous aurez beau vous montrer précautionneux, viendra inévitablement le sentiment que vous aurez raté quelque chose, cette sensation d'effondrement viscérale que vous n'avez pas fait l'expérience de tout ce qu'il y avait à expérimenter. Cette sensation de cœur qui vous tombes dans les chaussures parce que vous vous êtes précipité, traversant bille en tête ces moments auxquels vous auriez dû prêter toute votre attention."

Difficile de ne pas classer Survivant, cette petite Bible chaotique contemporaine totalement incongrue dans son top 5... Un livre qui commence par la dernière page, pour finir en compte à rebours à la page 1, ça a de quoi intriguer, surtout quand l'histoire se commence par un crash d'avion détourné par le membre d'une secte religieuse. Si vous voulez connaître le secret d'une maison gardée bien propre, après le passage des balles et les explosions sanguinaires, c'est ce livre qu'il vous faut.
"Nous avons tous grandi avec les mêmes programmes de télévision. C'est comme si nous avions tous les mêmes implants de mémoire artificielle. Nous ne nous souvenons de pratiquement rien de notre enfance véritable, mais nous avons un souvenir exact de tout ce qui est arrivé aux familles des sitcoms.
Nous avons tous les mêmes buts fondamentaux, les mêmes craintes.
L'avenir n'est pas très brillant. Très bientôt, nous aurons tous les mêmes pensées au même moment. Nous serons parfaitement à l'unisson. Synchronisés. Unis. Egaux. Exacts. A la manière des fourmis. Insectes dans l'âme. Des moutons."

Difficile aussi de s'arrêter là, sans parler de Journal Intime, un récit lugubre et effrayant autour de l'art, où la narratrice est retenue prisonnière dans une vie et sur un île avec un mari dans le coma qui sème autour de lui des messages étranges : «Fuyez cet endroit aussi vite que vous le pouvez. Ils tueront tous les enfants de Dieu jusqu'au dernier rien que pour sauver les leurs.»

Sans oublier Peste et A l'Estomac, qui dans la forme innovent un peu son style d'écriture habituel, et qui sont tous les deux assez inquiétants, résolument sales et glauques, pour lesquels il vous faudra vous accrocher si vous n'êtes pas très partisans des ténèbres. Mais puisqu'on a commencé fort, autant y aller jusqu'au bout.
"Le plus grand réconfort, dans la vie, c'est de regarder par-dessus son épaule et de voir des gens plus malheureux que vous, qui font la queue derrière."

Ce qui fait la particularité de Chuck Palahniuk, en dehors de sa fâcheuse tendance à être politiquement incorrect et de son talent pour créer des personnages hors du commun, c'est son style d'écriture. Très simple, fait de phrases courtes, de phrases choc et de mantras, ponctué d'anecdotes très documentées sur le sujet qu'il a choisi pour son livre, et visant toujours à faire naître le chaos dans cette Amérique anesthésiée, vouée à l'échec, et sans ambition. Ce n'est pas pour rien qu'il fait partie de la Cacophony Society. Et si la violence est un des phares de son oeuvre, il faut dire que ce n'est pas forcément évident de voir la vie en rose après la tuerie qui a fait rage dans sa famille.

Bref, si vous êtes friands de sensations et que la littérature "facile" ne vous dérange pas, voilà de quoi vous fournir de bonnes histoires pour Halloween ou pour frémir sous les couvertures pendant les longues nuits d'hiver. En tout cas, j'en relirai bien un ou deux...

... En attendant la suite de Fight Club, qui paraîtra sous la forme d'un roman graphique.

Vous pouvez aussi en profiter pour aller relire la chronique de Loubard sur Snuff.

par Mrs.Krobb

4 commentaires:

  1. Tu connais Tristan Egolf ?

    Il faudrait absolument que tu lises Le Seigneur des porcheries, qui est sorti à peu près au même moment que Fight Club je crois. C'est ouf. Il va encore plus loin que Palahniuk dans la monstruosité des White Trash, il va dans le gore jusqu'au bout, et en même temps ça reste drôle d'un bout à l'autre. Ce mec adorait Rabelais en plus, donc le carnavalesque est omniprésent, et c'est vraiment bien écrit.

    En gros, le héros devient le souffre-douleur d'une commune paumée du Midwest, parce qu'il est moins con que la moyenne. A huit ans il tient un empire agricole et tout le monde le jalouse. Mais sa mère tombe malade quand il a environ quinze ans, et c'est le début de toutes les emmerdes pour lui, avec la communauté toute entière contre lui. Une fois adulte, il se vengera en lançant une grève générale des éboueurs.

    Dit comme ça paye peut-être pas de mine, mais je t'assure que c'est extraordinaire, le mec crée vraiment toute une mythologie dans ce coin désespéré des Etats Unis, avec un rythme effrenné, c'est un gros bordel joyeusement apocalyptique, où il règle bien ses comptes avec l'Amérique conservatrice.

    En plus, je fais mon mémoire dessus. Hé.

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  2. Je connaissais pas du tout (enfin je me rappelle pas en tout cas), du coup je vais jeter un oeil. Merci pour cette analyse fortement développée et tout cet enthousiasme ! :D Ca fait plaisir d'avoir des retours comme ça.

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  3. Bah, c'est pas très développé mais je te ferai lire mon mémoire si toi tu lis le livre et que tu aimes. Contente que ça t'ait donné envie de t'y intéresser en tout cas !

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  4. Disons que pour le peu de commentaires qu'on reçoit ici, tu détiens la palme d'or du nombre de caractères héhé. Oui pourquoi pas, ça m'intéresse, pas trop dur d'écrire un mémoire complet sur un auteur ?

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