vendredi 22 janvier 2016

"A quoi bon encore des poètes ?" - Christian Prigent

En France, on aime beaucoup la poésie qu'on ne lit pas. Comme on n'en lit presque pas, l'amour est immense. 

Le monde actuel peut se caractériser par une demande de sens, de signification, d'un côté scientifique, rationnel, froid, factuel, et d'un autre côté plutôt spirituel, pour trouver par exemple un sens à sa vie, au monde, à l'univers. Dès lors, on attend des livres qu'ils nous rassurent, en nous livrant sur un beau plateau de la signification prête à consommer, de l'information plutôt que du style ; on attend d'eux également qu'ils nous instruisent plutôt qu'ils nous divertissent (d'autant plus qu'aujourd'hui on a accès à internet, à la télévision, aux jeux vidéos, aux sudokus...). La quête de sens, en terme scientifique et en terme religieux, en amène beaucoup aujourd'hui à faire preuve d'un certain prosélytisme pour un retour à l'écologie très profonde - c'est à dire : à retrouver la nature, à chercher à la comprendre, l'analyser, la décrypter, et donc s'en rapprocher, et de la spiritualité aussi, pour se relier à l'esprit même de la Terre. Ce qui nous ramène donc à la poésie, qui finalement, est probablement la mieux placée pour décrire l'amour de l'homme pour son environnement - ou sa haine, c'est selon.

La poésie, de même que la littérature dite moderne amène cette "modulation individuelle" du langage permettant d'exprimer sa part de subjectivité qui échappe aux textes plus rigoureusement objectifs - ces textes en quête de sens scientifique - et que Bataille, par exemple, appelait "la part maudite". Toutes deux sont parfois le théâtre de l'inhumain qui sommeille dans l'écrivain, car cette forme libre et totalement personnelle d'écriture permet de se révéler, tous masques imposés dehors. Malheureusement, à l'heure actuelle, le Mal commence à être bien règlementé, et on tente de le minimiser - ou de le soigner, au profit de la neutralité et du bonheur factice. Céline serait-il toujours autant adulé s'il écrivait ses livres aujourd'hui ? Pourtant, la poésie peut parfois transformer la noirceur en oeuvre sublime, et l'auteur citera pour illustrer ce propos : Rimbaud, Beckett, Baudelaire, Racine, Artaud...

Quant à ce qu'est devenue la poésie aujourd'hui, c'est, selon lui, "le sombre sentiment d'une déchéance, d'une clochardisation intellectuelle, d'un tournis en rond dans l'échange quasi inaudible des revues à cinquante lecteurs, des opuscules vouées à la nécrophagie bibliophilique et des lectures accablantes d'ennui devant quelques amis venus à charge de revanche".

Bref, on a bien besoin de poésie, parfois juste pour se donner bonne conscience.

Bonus : vous pouvez feuilleter les premières pages en ligne sur le site de l'éditeur.
Extrait : Qu’est-ce qui pousse à écrire (à écrire, entre autres, de la poésie) ?

par Mrs.Krobb

A quoi bon encore des poètes ? de Christian Prigent
Essai français
P.O.L, mars 1996
7,60 euros

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