mardi 14 novembre 2017

"Le chateau de lord Valentin" - Robert Silverberg

Le vieux Roi des Rêves
Est assis sur son trône.
Jamais ne ferme l’œil,
Jamais ne reste seul.

Le vieux Roi des Rêves
Nous visite la nuit.
Si nous sommes méchants,
Il nous fera grand peur.
Le Vieux Roi des Rêves
Au cœur comme la pierre,
Jamais ne ferme l’œil,
Jamais ne reste seul.


L'histoire prend place sur l'immense et majestueuse planète Majipoor, avec ses trois continents géants et ses deux océans démesurés... et son imposant Château qui se dresse au-delà des nuages, avec une salle par souverain depuis sa construction, entouré de cinquante Cités. Sans parler de son système hiérarchique complexe mais étonnamment bien organisé, où la Reine gouverne sur une île, le Roi au fond d'un labyrinthe, chacun isolé, tout comme le Roi des Rêves, qui fait trembler toute la population. Tout prend des proportions gigantesques ici, et il n'est pas étonnant que le premier tome du cycle de Majipoor soit un pavé de 700 pages ! Mais soyez rassurés, passé les premières pages, c'est un livre envoûtant qui vous fera visiter un monde des plus divers, incroyable et ravissant.

Si Majipoor révèle bien des décors fascinants, une flore époustouflante et une faune améliorée, on n'est pas en reste lorsqu'il s'agit des divers races et espèces venues coloniser la terre des Métamorphes, la plus étrange des civilisations d'autochtones, dont l'évocation fait trembler tous les esprits ; et pour cause, ces individus ont la capacité de changer de forme à volonté, et leur histoire tragique recèle bien des mystères et des rituels primitifs. Mais plus encore, il semblerait que ce soient ici les humains les plus à craindre, lorsque par amour du pouvoir et de la gloire ils sont capables des pires horreurs envers les leurs.
- Qu'est-ce qui vous fait croire que le Divin est juste ? A longue échéance, tous les torts sont redressés, les plus et les moins s'équilibrent, on fait le total de chaque colonne et les totaux tombent juste. Mais cela c'est pour le long terme. Nous devons vivre à court terme et, là, les choses sont souvent injustes. Les forces de compensation de l'univers font que tous les comptes s'équilibrent, mais pendant ce processus elles broient aussi bien les bons que les méchants.
Ainsi commence la quête de Valentin, un jeune homme amnésique portant le même nom que le Coronal - qui est le chef exécutif des lois et du gouvernement, le Prince suprême de Majipoor. Mais ce premier n'est guère impressionné par toute cette gloriole, préférant l'anonymat et la compagnie de la troupe de jongleurs qu'il rejoint bientôt afin de parcourir le monde et de travailler honnêtement. Sa vie aurait pu n'être rien d'autre qu'un long fleuve tranquille s'il n'y avait ces rêves étranges qui le parcourent chaque nuit et viennent bientôt hanter également ses compagnons. Se pourrait-il vraiment qu'il soit le vrai lord Valentin et que son identité lui ait été enlevée ? Est-ce que les Rêves peuvent réellement dire la Vérité dans ce monde étonnant ?
- Comme tout cela me semble étrange ! dit doucement Khun de Kianimot. Une guerre des rêves ! Si jamais j'avais douté d'être sur un autre monde, toute cette stratégie m'en convaincrait.
- Ami, dit Valentin en souriant, il vaut mieux se battre avec des rêves et des propulseurs d'énergie. Il est préférable d'arriver à nos fins par la persuasion que par un massacre.
Je lis assez peu de fantasy mais j'ai été agréablement happée par ce premier tome de saga. Robert Silverberg, que je connais surtout pour ses écrits de science-fiction, installe un monde assez fascinant et assez dense pour qu'il y ait beaucoup à dire et pour instiller une douce curiosité dans la tête du lecteur qui désirera ainsi s'avancer dans la suite pour en apprendre plus. La richesse de Majipoor réside principalement dans toute la diversité culturelle, mais également dans ses cités imposantes et royales, parfois simples mais précieuses également, et surtout dans son Histoire mystérieuse - celle d'avant les colons. L'aspect onirique est un thème important ici, et je trouve qu'il aurait pu être abordé encore plus en profondeur, même s'il est déjà un des piliers majeurs du roman - peut-être qu'il le sera par la suite ? - car il aurait pu donner lieu à une véritable guerre des rêves.
Et soudain la lumière se fit dans l'esprit de Valentin. Il sut qu'il n'était pas mort et qu'il ne se trouvait pas dans quelque au-delà. Je suis dans le ventre du dragon, se dit-il.
Il se mit à rire.
Valentin renversa la tête en arrière et laissa échapper d'énormes éclats de rire. Quelle autre réaction eût mieux convenu à la situation ? Des larmes ? Des imprécations ? Le monstrueux animal l'avait avalé tout entier, avait gobé le Coronal de Majipoor avec autant d'indifférence que s'il s'était agi d'une vulgaire épinoche. Mais il était trop gros pour être poussé dans la poche digestive de l'animal et c'est pourquoi il se retrouvait debout dans la panse, au milieu de ce canal alimentaire aux dimensions de cathédrale. Et maintenant, qu'allait-il faire ? S'entourer d'une cour de poissons ? Leur dispenser la justice quand ils étaient aspirés ? S'installer ici et passer le reste de ses jours à se nourrir de poisson cru soustrait à la capture du monstre ?
En bref, c'est une quête du héros un peu simple et innocent qui se trouve en réalité être l'homme le plus important de la planète et qui, entouré de ses nouveaux amis de diverses ethnies et personnalités, se retrouve à devoir abandonner sa vision naïve et gentille du monde pour revenir au pouvoir avant que le monde ne s'écroule entre les mains d'un tyran malveillant assoiffé de pouvoir. En parcourant ainsi le monde et en ayant été sorti de force de sa tour d'ivoire, Valentin en profite pour élargir ses idéaux, couvrir les différents continents et espèces d'un regard bienveillant et décider d'améliorer la vie sur Majipoor pour tous - même les Métamorphes, ces autochtones rejetés et méprisés. Entre temps, évidemment, de nombreuses aventures, des presque désastres et un happy end. Pour être honnête, j'ai trouvé que les choses semblaient quand même un peu trop faciles et rendues aisées au jeune héros - probablement pour que ce premier tome n'ait pas semblé interminable - et que les personnages manquaient de substance, d'une histoire, et que les différentes populations auraient pu être mieux abordés - une autre fois peut-être ?

Une histoire qui se lit vite et bien, qui survole rapidement tous les aspects de Majipoor pour mieux attiser l'envie de continuer la saga, et qui mériterait donc d'être approfondie pour en goûter réellement toutes les saveurs. Merci à Babelio et aux éditions Robert Laffont pour la découverte.

par Mrs.Krobb

Le château de lord Valentin de Robert Silverberg
Littérature américaine (traduction par Patrick Berthon)
Pavillons poche, octobre 2017 (original : 1980)
12 euros

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