lundi 26 février 2018

"Dernières nouvelles du futur" - Patrice Franceschi

En ce début de XXIe siècle, une seule question vaut pour les consciences éveillées : que va devenir l'Homme ? À l'heure du transhumanisme, de la guerre mondialisée, de la société de surveillance généralisée, des crimes de masse, de la production industrielle de l'insignifiance, ou de la fin de la vie privée, Orwell et Huxley ne sont jamais très loin ; l'ancienne vision de l'humanisme que l'on pouvait croire universelle par sa bienveillance et son ouverture est attaquée de toutes parts. Les héros de ces fables - dramatiques, loufoques ou surréalistes - nous donnent à voir le monde futur tel qu'il risquerait d'être si nous le laissions aller de lui-même. Dans ce livre, tout est vrai. Ou pourrait le devenir.

Vous l'aurez deviné, peut-être, avec cette introduction : Patrice Franceschi n'est pas optimiste du tout concernant l'avenir de l'humanité. En une dizaine de nouvelles - toutes interconnectées -, il installe un climat assez lugubre et postule sur l'avenir social, technologique, planétaire. Des scénarios catastrophiques qui ne laissent aucune place à l'espoir, sans opportunité de s'en sortir, si ce n'est ce mystérieux « Réseau Sénèque », bataillon d'incorruptibles, comme le fameux village gaulois, une version 2.0 des Anonymous.
Enfin, il se décida à commettre l'attentat pour lequel il s'était si longtemps préparé. Il plongea la main dans sa sacoche et en sortir précautionneusement la bombe. C'était la plus extraordinaire que le « Réseau Sénèque » ait pu lui procurer : un recueil complet des Poèmes saturniens de Verlaine.
Il contempla le livre avec un mélange de crainte et d'émotion : être pris en flagrant délit de lecture de ce texte répertorié dans la liste des « inutiles » revenait à perdre son emploi et tous les acquis sociaux. Bien sûr, il aurait pu aller au bout des choses et se procurer un ouvrage classé « négationniste » ou « révisionniste », comme le Discours de la servitude volontaire de La Boétie dont il avait entendu parler, mais il n'avait pas osé ; la perspective des assises l'avait dissuadé d'aller trop loin - les juges auraient aisément démontré son refus des textes de « distraction pour le Bien Commun » produits industriellement par les cabinets techniques des grandes firmes de communication : il aurait pris au moins cinq ans d'isolement social en centre de redressement.
Contact avec les extraterrestres, transhumanisme, économie totalement virtuelle, nouvelles "merveilles du monde" qui révèlent l'état désastreux de la planète, surveillance maximale, contrôle des naissances, refus de la différence et de la maladie, guerres civiles, version revisitée du déluge... Autant d'aspects survolés ici en quelques pages chacun, avec juste assez de pointes d'humour bien trouvées pour ne pas sombrer totalement dans le désespoir, la colère, l'impuissance et l'envie d'en finir. La dernière nouvelle, la seule qui semble ouvrir une fenêtre sur un monde possiblement meilleur, s'avère finalement un leurre. Bienvenue à bord du cauchemar humain. Souriez, c'est obligatoire.
Par un hasard imputable aux seules circonstances, ce fut Felipe Tamado qui reçut le premier cette réponde. À minuit précis, le 11 mai 2121, l’œil rivé à l’œilleton de son télescope, il manqua tomber à la renverse comme son grand-père autrefois : sur la surface de la planète inconnue, le QUI ÊTES-VOUS ? d'origine avait disparu pour être remplacé par ces six mots :

C'EST PAS À VOUS QU'ON CAUSE !
Ce livre, que l'on pourrait classer dans la science fiction cruellement dystopique, s'inscrit dans une lignée déjà bien connue, et reprend énormément de thèmes connus du genre, sans faire beaucoup dans la nouveauté, donc, mais on peut dire qu'il s'inscrit concrètement dans la réalité puisqu'il fait jaillir les peurs globales de ceux et celles qui envisagent l'avenir du monde. De fait, on sent une volonté de tester les possibilités réelles et plausibles de ce qui pourrait finalement se passer, avec tout de même assez d'exagération et d'amplification pour tirer clairement la sonnette d'alarme. Bien sûr, ces nouvelles se veulent aussi le reflet de ce qui est déjà en train de se passer, et pointent également du doigt l'engouement démesuré de ceux et celles qui pensent que tout progrès est bon à prendre et l'incapacité à appréhender les limites avant qu'il ne soit trop tard, en plus d'une servitude volontaire et du manque de révolte, de réaction.
9h52 - République contre-révolutionnaire du Venezuela : fin de vie à la tronçonneuse de trente-deux bûcherons de la scierie principale de Maracaibo. Fautif : Miguel Cornavado, contremaître aux ateliers, cinquante-huit ans. Motif : irritabilité due à la qualité du travail, non conforme aux normes en vigueur. Jugement : circonstances compréhensives au regard des antécédents psychologiques du fautif. Sanction : licenciement sans appointements.
Bref, rien de nouveau sous le soleil (si toutefois il n'est pas déjà sur le point d'exploser) ? Le traitement comico-dramatique est cependant bien trouvé pour ne point trop verser dans le pathos insupportable, et le système de nouvelles permet de couvrir un large spectre sans devoir forcément aller chercher plus loin. Toutes les nouvelles ne se valent pas : certaines sont courues d'avance, d'autres donnent un sentiment de déjà-vu un peu trop redondant, mais d'autres sont vraiment presque drôles et il y a une volonté de diversité qui permet de trouver son compte. Conclusion : si après ça vous n'avez pas envie de vous exiler dans une lointaine galaxie, essayez au moins de sauver ce qui reste dans celle-ci. Et n'oubliez pas que rien n'est acquis, qu'il va falloir toujours se battre pour ses droits, et que l'homme est un loup un sombre crétin à éliminer n'est toujours attiré que par l'appât du gain et scierait la branche sur lequel il est assis pour juste se prouver... quoi au juste ?

Bonus : extraits 1, 2, 3

par Mrs.Krobb

Dernières nouvelles du futur de Patrice Franceschi
Littérature française
Grasset, février 2018
19 euros

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