lundi 18 juin 2018

"Le son du silence" - H.J. Lim

Mais moi, je veux respirer l'air que Beethoven respirait, aimer dans les rues où Chopin a aimé, je veux sentir le vent qui agitait les cheveux de Ravel, voir de mes yeux les paysages que Mozart a vus, m'éveiller dans la lumière où Liszt s'est éveillé. J'ai un désir d'Europe. De vieilles âmes. C'est comme une mémoire très ancienne. C'est ma soif. Ma mission. Mon rêve. Partir.

Hieon Jeong Lim (dont le nom se traduit par « la poignée (de marmite, très précieuse) », « la sérénité, la paix, le silence » et « la forêt ») est promise dès avant sa naissance à un grand destin, hors de la Corée : c'est ce qui vient en rêve à sa mère. Toute petite, déjà, elle se prend d'amour pour le piano, qu'elle étudie fermement. Elle finira par aller l'étudier sur le continent de ses compositeurs préférés, à douze ans, encore si jeune, et si seule, dans cette France dont elle ne connaît même pas la langue.
Le système éducatif en Corée du Sud étant l'un des plus exigeants au monde, le niveau scolaire y est atrocement élevé. Les enfants, avec plus de cinquante heures de cours par semaine, ont un rythme de travail effréné. Les instituts privés prennent le relais après l'école, obligeant les élèves à travailler jusqu'à minuit, parfois dès le primaire. Même si je n'ai pas subi un tel rythme à Anyang, je découvre, en arrivant en France, que dans certaines matières, je suis largement en avance. 
Alors même qu'elle n'a connu dans son enfance que son village en Corée du Sud, elle se frotte à une autre réalité, urbaine, difficile, adulte, mais surtout : raciste. Et même dans sa famille d'accueil, avec cette « tante » coréenne, le climat est pesant, sévère, plein de rivalité. Néanmoins, elle s'acharne : elle réalisera son rêve. Elle met les bouchées doubles pour apprendre la langue, réussir sa scolarité, et se démarquer au conservatoire, alors même que tous les freins lui sont mis pour l'empêcher de jouer à sa mesure.
Je lui présente M. Hoppeler, tout surpris de me découvrir une mère. Ma « tante » lui a raconté que j'étais orpheline, qu'elle me gardait par pitié et comptait m'emmener au Canada. Mes parents lui envoient pourtant chaque mois une somme importante pour payer mes études et les frais très coûteux du conservatoire.
- Mais le conservatoire est public ! s'exclame M. Hoppeler. Les frais sont très réduits.
Non, mes parents ne sont pas pauvres, oui, elle m'a menti. Elle nous a menti. À tous. Appelant aussi bien ma famille en cachette pour leur dire que je ne faisais aucun progrès en français comme au piano.
Heureusement, H.J. Lim sent qu'une bonne étoile veille sur elle (à moins que ce ne soit, tout simplement, de la confiance, du courage, de l'audace, du tempérament, et de la bienveillance dont elle fait preuve.) C'est ainsi qu'elle sera sélectionnée, choisie, reconnue, récompensée pour son travail, son talent et sa compétence, sa touche personnelle et sa sensibilité, qui, alors même qu'elle est beaucoup plus jeune que tous les autres, lui ouvriront toutes les portes, à travers différents pays.
Je n'oublie rien, tout est là, j'ai chaud, j'ai soif, je dois aller là où l'on ne va pas, je dois retrouver tout ce que l'on ne sait plus, ce qui fut perdu, le ramener, tout ce en quoi l'on a cru ; je veux bien mourir, prendre le risque, être nue, parce que j'ai l'espérance de cet immense lac de silence frais où mon corps essoré par la joie s'abandonne. Cela arrive parfois. Alors, c'est la vie parfaite qui tend sa paume et caresse ma joue baignée de larmes. Je me rencontre, il n'y a plus rien à craindre, la lumière est là que jamais l'ombre ne saura éteindre. La lumière, la musique.
Ce qui fut blessé, la tristesse dans les poumons gorgés de peine, tout s'efface. J'entre dans le monde par l'intérieur, et je suis libre. Libre.
Le parcours de cette jeune femme est rien moins que touchant, poignant, à la fois difficile et remarquablement réussi, et a de quoi transporter. L'écriture elle-même est impeccable, fluide et douce, et l'accent est plus souvent mis sur les petites victoires, les douceurs et la lumière plutôt que sur le pathos et les obstacles, bien qu'il y ait matière à faire. C'est parce que la spiritualité, et plus précisément le bouddhisme, a une place de choix ici : tout comme la musique, c'est ce qui porte H.J. Lim au sommet, lui donne la force d'avancer, et surtout lui donne un but. Le son, la musique, les notes, les compositeurs, les interprètes, les partitions sont décrits comme des poèmes, peints par petites touches comme des paysages impressionnistes, adulés avec passion et fougue. C'est donc une lecture empreinte d'espoir, de volonté et d'humilité, qui finit par donner très envie de réécouter ses classiques.

Bonus : vidéo de concert de H.J. Lim

par Mrs.Krobb

Le son du silence de H.J. Lim (avec la collaboration de Laurence Nobécourt)
Littérature franco-coréenne
Le Livre de poche, avril 2018
6,90 euros

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