lundi 30 juillet 2018

"Les machines à illusions" - Philip K. Dick & Ray Nelson

« En votre absence, lui communiqua l'Esprit Collectif, nous avons commencé le partage de la Terre. Votre secteur vous attend, naturellement. Vous n'avez pas été oublié.
- Et quelle province m'a-t-on réservée ? » riposta Mekkis sur un ton d'ironie appuyée.
Sans doute un rogaton sans valeur aucune, le rebut.
L'Esprit Collectif lui transmit l'aversion sardonique que tous ressentaient à son égard. Ils jouissaient de sa frustration et de son impuissance.
« Comment s'appelle-t-elle ? insista-t-il, prêt à entendre le pire et à endurer sa punition, si pénible soit-elle.
- La province qui vous a été attribuée est celle du Tennessee, répondit d'un ton enjoué le porte-parole des Électeurs.
- Permettez-moi de consulter mes dossiers de référence. »
Il entra aussitôt en contact télépathique avec son bibliothécaire personnel. L'instant d'après, une description détaillée ainsi qu'une carte de la province se présentaient mentalement à lui. Il en avait assez vu pour évaluer la situation.
Mekkis perdit aussitôt connaissance.

La Terre a été envahie par une espèce extraterrestre, venue de Ganymède, et ses représentants sont en réalité des sortes de gros vers à conscience collective télépathique, entourés de Larbs (larbins) technologique qui les aident à peu près pour tout. Un groupe de résistants, les Nigs (vous avez compris), continuent de faire front au fin fond du Tennessee, sous la houlette de Percy X, télépathe et donc impossible à abattre. Une journaliste tente de se rendre dans cette partie du monde sous prétexte de sauvegarde musicale, mais Percy se rend vite compte qu'elle travaille en fait pour le compte de l'ennemi. Entre résistants et pervertis, le conflit est serré. Et c'est sans compter la nouvelle trouvaille, trésor enfoui pendant l'invasion : les machines à illusions du docteur Balkani.
« Je vous écoute, assura Rivers sur le ton encourageant qu'on finit toujours par acquérir quand on passe sa vie à faire vider leur sac à des individus récalcitrants.
- J'ai un patient pour vous. », dit le Dr Choate. Il hésitait, cherchant ses mots.
« De quoi s'agit-il, cette fois ? »
Choate s'éclaircit la gorge. Un pauvre sourire éclaira son visage.
« De l'espèce humaine. »
Le roman est assez complexe dans son ensemble car il y a beaucoup de choses en jeu, qu'elles soient implicites ou explicites, et s'attarde autant sur l'histoire des noirs aux États-Unis que sur l'exploitation ganymédienne, pour terminer par la psychiatrie, les illusions et la potentielle fin du monde. Ce qui fait qu'au final, beaucoup de choses sont abordées mais jamais non plus totalement abouties, et l'ensemble donne une impression un peu brouillonne. On croise beaucoup de personnages qui n'ont pas vraiment de personnalité, bien qu'ayant du caractère - et pour un roman qui aborde la question de l'esprit, de la télépathie, de la compréhension de l'humanité et de la psychiatrie, c'est un peu dommage.
« Tu es télépathe. Tu sondes l'esprit des gens, mais tu ne les comprends pas. Le professeur Balkany n'est pas télépathe, pourtant il comprend tout. D'où vient ce mystère, Percy ? Moi, je sais. »
Elle lui sourit à nouveau de son sourire mort, totalement dénué de gaieté. « Il lui a suffi de sonder un seul esprit, jusque dans ses plus noirs recoins. Le sien. Il se comprend si bien qu'il n'a aucun besoin d'être télépathe pour appréhender l'esprit des autres. Il se drogue, me diras-tu. Et alors ? Si tu pouvais te voir avec autant de lucidité qu'il se voit lui-même, toi aussi tu éprouverais le besoin de le faire. Pour tenir le coup. Des monstres, voilà ce que nous sommes. D'ignobles êtres pervertis jusqu'à la moelle... »
Il y a ici et là de petites touches d'humour bienvenues, quelques réflexions bien senties et un côté très caricatural (parfois trop), qui donne à l'ensemble un côté burlesque et fanfaron à ce qui semble au début presque militaire. La partie sur les machines à illusions en tant que telle n'est pas aussi développée et intense qu'on aurait pu le penser pour un livre signé K.Dick, mais elle garde un côté fataliste et anxiogène qui arrive à tenir le livre jusqu'au bout avec un rebondissement intéressant.
Ça ne ressemblait en rien à ce qu'il avait envisagé sur la base de la Thérapie de l'Oubli. Il s'était attendu à des horreurs sans nom, à des hallucinations, à un défilé d'images plus grotesques et délirantes les unes que les autres, le tout aggravé de phénomènes optiques du genre disques de lumière multicolore tourbillonnants... Compte tenu de tout ce qu'il avait lu dans les articles, ouvrages et monographies de Balkani et de tout ce qu'il avait entendu dire au sujet des projecteurs d'illusions utilisés par les Nigs... Au lieu de ça, rien. Ce n'est pas normal.
Ce n'est pas un livre dont je garderai un souvenir marquant, je pense que le sujet a été abordé dans d'autres livres de façon plus développé, mais pour un livre à quatre mains, on peut dire qu'il tient la route et qu'il garde une bonne cohérence tout du long. Au fait, pour qui ne le sait pas (je l'ai appris aussi) : Ray Nelson est l'inventeur de la casquette à hélice. Ça méritait d'être dit. Quant à la couverture, je n'ai qu'une question : pourquoi ?

Bonus : extraits 1, 2, 3

par Mrs.Krobb

Les machines à illusions de Philip K. Dick et Ray Nelson
Littérature américaine (traduction par Iawa Tate)
J'ai lu, mai 2015 (original : 1967)
6 euros

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