lundi 16 juillet 2018

"L'homme qui voulait être sage" - Karan Bajaj

« Ils croient - et ce n'est pas ma croyance, monsieur, je tiens à la préciser - que le monde est formé d'opposés : haut et bas, froid et chaud, obscurité et lumière, nuit et jour, été et hiver, croissance et déclin. Alors, s'il y a la naissance, la vieillesse, la souffrance, le chagrin et la mort, il doit exister quelque chose qui n'est pas né, ne vieillit pas, ne souffre pas, n'éprouve aucun chagrin et ne meurt pas - quelque chose d'immortel, en fait. Et ils veulent le trouver. Pas seulement y croire, à travers leur foi ou par la lecture des textes sacrés, mais le voir en face. »

Après la mort de sa mère, Max rencontre un indien tenant un stand en rue qui lui conte les aventures des yogi dans les grottes de l'Himalaya. Bien sûr, c'est tout de suite comme une révélation, et il se lance sur cette voie en laissant New York et sa vie devenue bien privilégiée de côté. Ayant vécu dans un quartier difficile et parfois dans la misère, il se dit évidemment que la survie dans ce monde qu'il ne connaît pas sera un peu plus aisée. Grossière erreur : pendant son parcours, il va falloir d'abord passer plein d'épreuves et de tests avant de pouvoir seulement entamer le long processus de l'initiation au yoga.
Il incarnait complètement le cliché du parfait Américain ignorant et arrogant. Il croyait pouvoir jouer au montagnard parce qu'il avait escaladé plusieurs pics mineurs avec des guides professionnels. Après s'être posé quelques questions superficielles entre deux mugs de latte à la vanille, il avait commencé à se prendre pour un yogi.
En commençant la lecture, j'ai tout de suite eu l'impression de plonger dans un océan de stéréotypes et de clichés, de devoir encore me lancer dans le récit d'un jeune américain blanc privilégié qui part à la recherche de l'Indian Dream après avoir déjà réalisé l'American Dream, avec des liasses de bons gros dollars en poche et un semblant de révélation. Honnêtement, on est en plein dedans. Ce qui a fini par me rassurer, c'est en premier lieu que l'auteur, indien de naissance et américain de nationalité, connaît sûrement assez bien son sujet pour en être à la fois détaché et imprégné, et qu'il est totalement conscient des préjugés dont il use, avec recul ou parfois en appuyant bien dessus (peut-être pour faire un pied de nez à d'autres livres du genre). D'ailleurs, ce récit a un côté plutôt bien biographique puisqu'il s'inspire librement de la propre expérience de Karan Bajaj à bien des niveaux. De mon point de vue, ça aurait pu être encore plus intéressant s'il s'était vraiment placé comme le personnage principal, plutôt que ce Max tellement archétypal du bon américain qui tente bien de s'approprier un monde qui n'est pas le sien - mais sûrement était-ce justement le point. Je ne cache pas que j'ai pris beaucoup de plaisir à voir ce personnage s'en prendre d'abord plein la figure et plein l'ego, ce qui a engendré du coup quelque remise en question, même si j'ai un peu déchanté quand il commence à se faire aduler comme un saint. Par contre, j'ai eu bien plus de sympathie pour les personnages locaux.
« Tu as déjà pratiqué le yoga, déclara-t-il. Ces postures n'en sont qu'une infime partie. Respirer avec attention, c'est du yoga. S'absorber entièrement dans son travail, c'est du yoga. Penser aux autres plutôt qu'à soi, c'est du yoga. Tout ce qui nous fait oublier notre modeste personne pour ne faire plus qu'un avec l'infini, c'est du yoga. »
Le thème principal, donc, qui est le yoga dans sa forme la plus globale, est assez bien traité, en ce sens qu'on en fait un peu le tour, autant dans son aspect spirituel, altruiste, physique et mystique. L'auteur tient à parler autant des avantages du yoga sur soi et les autres que ses possibles dérives et ascèses strictes, de même qu'il effleure légèrement le panthéon religieux hindou sans pourtant y plonger moins qu'une phalange. C'est aussi bien le récit de tous les occidentaux qui rêvent de l'éveil spirituel sans pour autant avoir la pratique, la philosophie, le mode de vie et la culture nécessaire à réveiller leur Kundalini et devenir de vrais yogis, qu'une mise en garde et un enseignement assez durs et rigoureux.
« Un pour cent maximum, déclara le conducteur en levant l'index. Un pour cent au mieux de ces yogis sont authentiques, et la plupart d'entre eux vivent au sommet des montagnes où vous allez. Par ici, et plus bas à Rishikesh, ceux qui partent en quête de Dieu font bien rigoler tout le monde.
- Ce matin, un homme qui tenait un morceau de chair humaine dans sa main m'a proposé de devenir mon guru.
- Il était couvert de cendres ? Près d'un bûcher funéraire ?
- Absolument, répondit Max.
- C'est un Aghori Baba. Ils se nourrissent de carcasses d'animaux et de restes humains pour montrer qu'ils aiment toutes les créatures de Dieu, même les plus repoussantes. Ils ont l'air effrayant, mais ils sont complètement inoffensifs.
- Et les hommes avec des visages peints et des marques rouges ?
- Des fidèles du dieu Shiva. Si je fumais autant de hachisch qu'eux, moi aussi je verrais Dieu partout. »
Mon impression, après coup, est un peu la même que celle que procure La Prophétie des Andes : un récit qui veut apprendre de grandes choses, procurer des illuminations sur la nature de l'univers et démontrer qu'il est possible de se dépasser pour avoir une influence sur le monde. Un livre moitié tragique moitié feel good, parce qu'il faut bien un équilibre, dans lequel vous pourrez apprendre à marcher sur l'eau (si, si).
En Inde, il était aussi ardu d'éviter l'inconfort que de voir Dieu en face.

Bonus : un extrait disponible ici

par Mrs.Krobb

L'homme qui voulait être sage de Karan Bajaj
Littérature indienne (traduction par Julie Groleau)
Presses de la cité, mai 2018
21 euros

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