vendredi 13 juillet 2018

"Une putain de catastrophe" - David Carkeet

Cook lui emboîta le pas, stupéfait tant par le comportement de Pillow que par le sien. Si Pillow s'était jeté par la fenêtre du douzième étage, Cook l'aurait sans doute suivi, exigeant des explications tout au long de la chute.

Suite au naufrage du centre Wabash où il faisait partie d'une équipe de linguistiques (voir Le linguiste était presque parfait), Jeremy Cook obtient un entretien dans une nouvelle compagnie. Mais celle-ci s'avère encore plus bizarre que l'ancienne. Son patron, Roy Pillow, est l'individu le plus mystérieux, étrange, tordu et volatile qui soit. Ses consignes sont absurdes et dénuées de sens, son comportement pousse à la crise de nerfs et son être tout entier respire le point d'interrogation. Le linguiste se retrouve catapulté comme observateur conjugal dans un ménage en crise, afin d'apporter ses lumières. Pour un célibataire endurci qui a fait fuir la potentielle femme de sa vie, c'est un drôle de boulot.

Le téléphone sonna et Beth parla longuement. Si sa voix puissante montait bien jusqu'à lui, traversant plafond et plancher, il n'arrivait cependant pas à comprendre ce qu'elle disait. Il tendit l'oreille avec attention et commença à se dire qu'il serait intéressant de classifier les types d'intonations qui réussissaient à percer le plâtre et le pin, et ceux qui n'y parvenaient pas.
Si le métier de linguiste était déjà vaguement obscur dans le premier opus, il devient encore plus abstrait ici. Et les linguistes sont de plus en plus embarrassants, inadéquats et inopportuns, renforçant de fait le comique (et le tragique ?) de la situation, apportant une vague de malaise et encore un gros point d'interrogation. Et pourtant, c'est bien par le langage, le discours, la communication, l'écoute, les non-dits, les éclats, les malentendus et les mensonges que commence l'inévitable descente aux enfers sociale / conjugale / familiale. Comme un piano désaccordé.
Cook monta dans sa chambre. Là, il sortit l'horreur ! de la poche de sa chemise, alla s'asseoir à son bureau et fixa longuement les lignes :

C'est une chieuse.
C'est un con.
L'argent.
C'est un loser.
Elle pense que c'est un loser.

Saisissant le stylo sur son bureau, il barra sa théorie qui n'avait tenu qu'une journée pour en écrire une nouvelle :

Il pense que c'est une mauvaise mère.
David Carkeet joue à la fois sur les clichés et l'inattendu, les présupposés et la surprise. La famille dans laquelle est propulsé son personnage est tout à fait typique, voire banale, et il sera assez aisé pour la plupart des lecteurs•rices de s'y retrouver. Jeremy Cook et Roy Pillow restent toutefois des cas à part, et on retrouvera aussi Paula, qui réserve bien des surprises...
Soudain, Cook fut frappé d'une idée - et trouva le choc particulièrement violent.
Bref, si vous êtes en froid avec un membre de votre famille, je vous suggère de lui offrir ce livre, cela permettra peut-être de dérider l'ambiance, mais n'omettez pas de le lire avant : on n'est jamais à l'abri d'être soi-même en faute. Cocasse, léger, retentissant, mais aussi pertinent, celui-ci se démarque moins du premier mais n'en reste pas moins une lecture intéressante.
« Résumons, déclara Cook au carreau de la fenêtre. Ta belle-famille vient déjeuner dans deux heures. Demain, ton fils part en colonie pour deux semaines. Tu pars toi-même en Italie après-demain pour quinze jours. Ton mariage est sur le point d'imploser. Et ta priorité, c'est de couler du béton. »

Bonus : extraits 1 & 2

par Mrs.Krobb

Une putain de catastrophe de David Carkeet
Littérature américaine (traduction par Marie Chabin)
Points, mai 2017
8 euros

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