lundi 8 octobre 2018

"Les hommes sans futur - t.1 : Les mangeurs d'argile" - Pierre Pelot

Alors se produisit l'autre cassure. Elle non plus ne fut pas brutale. C'était une mince lézarde, qui se dessinait depuis longtemps. À l'échelle d'une vie d'homme, elle pouvait passer inaperçue. Mais comme le temps passait moins vite, comme l'homme intelligent était si intelligent... il dut certainement l'agrandir, la cassure, d'une façon ou d'une autre. C'est ainsi que vinrent les Nouveaux Hommes. Rares d'abord, et regardés comme des monstres. Ils étaient des monstres, puisqu'ils étaient différents. Puis ils furent de plus en plus nombreux. Bientôt la majorité. Le temps coulait si vite ! Trois ou quatre siècles, au dire de certains. Trois millions d'hypothèses expliquent la mutation.
Ils étaient les Nouveaux Hommes, la Nouvelle Espèce, les Supérieurs, les Autres, etc. Ils prenaient possession de la planète Terre, oubliant les vieilles règles du jeu pour en poser d'autres qui étaient les leurs.
Restaient les singes, et les hommes « normaux » de l'ancienne espèce.
Ceux-ci ne comprenaient RIEN aux Nouveaux. C'était à eux, maintenant, d'être différents. Ils se savaient condamnés à plus ou moins long terme à l'extinction totale, mais ils vivaient quand même, survivaient dans le chaos, en suivant les règles de toujours ou en essayant tant bien que mal de s'adapter... Ils survivaient sur les territoires que leur laissaient les Supérieurs. À leur guise et selon leurs coutumes. Les Supérieurs, en règle générale, les laissaient en paix, comme en règle générale et à quelques exceptions près les hommes intelligents avaient laissé en paix les singes.
Nous sommes plus ou moins dans les années 2400 (même si rien n'est moins sûr - depuis l'arrivée d'une nouvelle ère, il est plus difficile d'avoir des repères). Cela va bientôt faire deux siècles que l'espèce humaine évolue, pour devenir une sorte d'humain supérieur, une nouvelle génération d'homo encore plus sapiens. Une nouvelle cassure, donc, où les parents n'ont plus rien à voir avec leurs enfants. Avec pour décor, les États-Unis. Façon un peu western, villes abandonnées, hommes armés et femmes qui se donnent à tous dans l'espoir d'avoir un enfant normal, de faire perdurer l'espèce. Régression totale. Et dans tout ça : Caïne, un de ces "hommes-bois-bonheur", à mi-chemin entre charlatans, médecins et sorciers ; Kildred, ancien chef de milice, sur le point de mourir ; Lice, jeune femme prise sous son aile, qui tente de leur ouvrir les yeux sur le drame qui est en train de se jouer. Il faut fuir. Mais où ? Et est-ce vraiment utile ?
Plus d'une fois, Caïne s'était demandé à quoi pouvait ressembler ce pays auparavant. Restaient bien sûr, pour se faire une idée, de vieilles revues, des livres, toutes sortes de documents photographiques - tout ce que les Supérieurs n'avaient pas utilisé. Mais il fallait pouvoir y accéder ; en règle générale, ces documents étaient conservés à l'abri. Les bibliothécaires manquaient de moyens et essayaient de faire durer au maximum ce qu'ils avaient pu sauver ; ils préféraient ne rien prêter, ne rien montrer même, sauf sans doute à ceux qui détenaient l'autorité.
L'Apocalypse selon Pierre Pelot. Dans ce premier tome, on ne voit aucun de ces Nouveaux Hommes. On en parle, à demi-mot. On ne sait pas où ils sont, qui ils sont, ce qu'ils veulent. Parfois on les voit voler dans les airs dans de drôles de structures. Parfois on peut voir leurs programmes à la télévision, mais on n'y comprend rien. Comme le titre l'indique, donc, on se concentre ici sur les laissés-pour-compte, les mangeurs d'argile, les humains vieille génération, quoi. Des campagnard.e.s, des paysan.ne.s, des hors-la-loi, des prostituées, des désespéré.e.s, des survivant.e.s. Toujours prêts à faire des coups tordus, toujours méfiant.e.s, c'est obligé, plus rien ne va comme il faut.
Sur l'écran se succédaient des représentations graphiques totalement hermétiques, des paysages, des personnages silencieux, seuls ou en groupes, qui se regardaient dans le blanc des yeux sans même entrouvrir les lèvres, comme des potiches posées sur la même commode. Des sons bizarres planaient, sur un registre très étendu, parfois très graves, parfois aigus à la limite du supportable. Il y avait aussi, ponctuellement, des images blanches, des temps vides pendant lesquels il ne se passait rien pour les hommes de l'ancienne espèce - pour les Supérieurs, cela devait signifier quelque chose...
Pour ce qui est de ce début de série, je dois avouer que j'ai été tellement en demande de réponses que j'ai été un peu frustrée d'en avoir si peu. Bonne stratégie pour tenir en haleine ! Mais je n'ai accroché que très peu aux personnages, et été clairement énervée par les propos lubriques et parfois même les fantasmes de viol de Caïne. On s'en serait passé. Tous ont un passé sombre, liés aux Nouveaux Hommes, et tous ont quelque chose à fuir, à retrouver. Globalement j'ai trouvé ça un brin misogyne. Un peu trop calqué sur la littérature type western où les femmes sont juste bonnes à offrir leur corps et où les hommes ne savent que se tirer dessus. C'est voulu, j'imagine. L'Homme retourne à son état dit "animal", à son mode survie.
« Je ne pense pas qu'elle était partie ailleurs. Alors j'attendais. Mais voilà : ils ne reviennent pas, jamais. Ils restent entre eux. Voilà. Les hommes devenus hommes ne sont jamais retournés parmi les singes, hein ? Ils ont laissé les singes vivre leur vie de singes, c'est tout, et petit à petit ils ont pris le dessus. C'est pas plus compliqué. »
Enfin, il s'agit surtout de planter le décor. Avec des courses-poursuites, des coups fourrés, des pétarades, une grande évasion massive. Et puis une fin qui présage de la suite, de la présence, enfin, de ces Nouveaux Hommes et de leur plan pour le reste du monde. Un petit air d'étrangeté à la Robert Charles Wilson qui me chatouille l'esprit. C'est bien tourné pour donner envie de connaître la suite. À une époque où les mots "transhumanisme" et "posthumanisme" sont sur toutes les lèvres, Pierre Pelot en livre une version où il s'agit d'une évolution naturelle, inattendue. Où le vieux monde n'a pas plus sa place qu'on n'en a donnée une à notre environnement une fois s'être bien installés en haut de la pyramide du vivant. L'homme est remis à sa place, celle de singe. Une critique bien sentie. Et qu'en sera-t-il de ce nouveau monde ? Vous le saurez au prochain épisode. J'aime l'amorce, le concept, les aperçus des Nouveaux Hommes, et j'ai clairement envie d'en savoir plus ! La fin présage de quelque chose d'énorme et de radical, et pose réellement la question de l'avenir de l'humanité. Un peu comme le premier tome de la série La Tour Sombre de Stephen King m'avait parlé-mais-sans-plus pour complètement me rendre accro dès la suite, je pense qu'il y a du potentiel ici (surtout qu'on en est à la troisième réédition il me semble ?).


par Mrs.Krobb

Les hommes sans futur - t.1 : Les mangeurs d'argile de Pierre Pelot
Littérature française
French Pulp, septembre 2018 (original : 1981)
11 euros

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