Le terme de posthumanisme aurait été prononcé la première fois par le
philosophe allemand Peter Sloterdijk dans une conférence tenue à la fin
du siècle dernier. C'est en tout cas ce qu'affirme Jean-Michel Besnier
dans son livre Demain, les Posthumains, très critique envers les
prétentions et les objectifs des adeptes du posthumanisme. Pour résumer,
il s'agit de l'imminence d'un nouvel âge de l'humanité complètement
transformée par les usages et les applications des technologies du
numérique. La procréation, l'amour, le corps, la mort, notre physiologie
comme nos capacités cognitives, la famille, la société, le travail, la
politique : tout ce que nous connaissons est amené à être dépassé pour
atteindre un nouveau stade détachant l'homme de toutes les contraintes
de son évolution biologique et sociale. (...) [Ce posthumanisme]
revendique une humanité avec des femmes et des hommes modifiés,
transformés par les technologiques. Ce posthumanisme sera la conséquence
du transhumanisme, aussi nommé de manière plus pertinente Humanité Plus
ou H+, autrement dit, l'Homme augmenté. Il œuvre à un nouvel état de
l'humanité mais sans vraiment le définir, si ce n'est en se présentant
comme un nouvel âge dépassant toutes les conditions antérieures.
Ce
courant technophile considère que notre évolution et même nos sociétés
sont arrivés au terme de ce qu'elles pouvaient potentiellement nous
offrir de mieux et qu'il faut dépasser ces contraintes biologiques,
cognitives, sociales et même environnementales grâce aux technologies.
Cela explique l'intérêt du posthumanisme pour les moyens ou les
solutions qui mobilisent les nanotechnologies, la cryogénie, la
sélection génétique, l'eugénisme positif, les robots et les cyborgs, les
intelligences artificielles, le téléchargement de l'esprit dans des
machines, les réalités augmentées, la conquête spatiale...
Il
y a un courant posthumaniste, qui n'est pas issu du transhumanisme, qui
vient de la philosophie et des sciences humaines (anthropologie,
sociologie, féminisme, gender studies...). Ces posthumanistes critiquent
la tradition humaniste occidentale issue des Lumières qui, portée par
le progrès des sciences, des techniques et des industries, a permis la
domination de l'homme occidental blanc sur le monde. Tout comme au temps
des Lumières, il n'y a pas chez eux de rejet des sciences et des
techniques : ils ne sont pas technophobes. Ils font cependant un constat
historique implacable des conséquences du progrès depuis la fin du
XVIIIe siècle : l'emprise sur les sociétés et le monde par des nations
occidentales dirigées par des hommes blancs, ce qui s'accompagne d'un
humanisme de plus en plus discriminant envers les femmes (sexisme), les
autres peuples et ethnies (racisme), les personnes différentes
(handicapées), les pauvres (darwinisme social) ou encore les animaux et
la nature (espécisme). L'anthropologue Claude Lévi-Strauss a décrit et
dénoncé cet humanisme de plus en plus restreint, dont l'éventail des
exclus n'a cessé de s'élargir dans le cadre de la pensée hiérarchique
occidentale. Il parlait d'«humanisme bourgeois».
J'ajouterais
aussi un autre posthumanisme très misanthrope qui prend ses racines
dans l'écologie radicale et dont le but est d'éliminer purement et
simplement les humains afin de sauver la planète, ce qui a priori n'a
rien à voir avec le transhumanisme technophile, sauf qu'un des courants
de ce dernier vise à remplacer les humains par des machines plus
intelligentes et même censées mieux faire l'amour ! (...) Il s'agit
d'envisager un projet posthumain avec des machines construites par
l'homme et destinées à le remplacer, tout en éprouvant des sentiments
humains. C'est une sorte de perversion du mythe de Pygmalion, avec des
ingénieurs qui admirent tellement la perfection de leur œuvre qu'ils
décident de s'effacer pour abandonner le devenir du monde à leur
création.
Pour l'humanisme libéral, l'humanité se
compose d'individus et réside en chaque individu comme entité
inaliénable, voire sacrée. Chacun dispose de droits fondamentaux à la
liberté. Les droits de l'homme s'inscrivent dans ce courant. L'humanisme
libéral ne considère pas les différences individuelles et sociales
comme des inégalités tant que la société veille à ce qu'il y ait égalité
de droits et des chances. La pensée libérale couvre un éventail qui va
d'une politique de la réussite pour tous jusqu'au pire égoïsme cynique.
Les vrais libéraux, plus humanistes, s'opposent aux néolibéraux sur ces
questions, sans oublier les libertariens américains qui eux s'opposent à
toute réglementation étatique ou autre et qui sont très actifs dans le
transhumanisme. (...)
Pour l'humanisme social, la valeur suprême
est l'espèce, en l'occurrence notre espèce Homo sapiens ou, dans une
terminologie un peu désuète, le genre humain. Son idéologie lutte
obstinément contre les inégalités, confondant trop souvent les
différences nécessaires, comme dirait Condorcet, avec les inégalités
illégitimes. C'est la son principal travers. Les échecs dramatiques de
sa mise en œuvre au XXe siècle le discréditent. (...)
Pour
l'humanisme évolutionniste, chaque individu est unique car il en est
ainsi pour toutes les espèces. Son objectif consiste à mettre en place
une politique qui évite la dégénérescence d'Homo sapiens en éliminant
les caractères défavorables ou non souhaitables, tout en favorisant les
individus porteurs de bons caractères. C'est une transposition dans le
champ humain du principe de la sélection naturelle de Charles Darwin qui
affirme que la sélection naturelle favorise les caractères les plus
aptes. Son défaut réside dans une compréhension incomplète de ce
principe : il n'y a pas toujours sélection, cela dépend de
l'environnement. De plus, les caractères les plus aptes à un moment
donné ne le sont pas ou ne le seront plus dans un autre contexte. Dans
la nature, la sélection ne signifie pas l'élimination, c'est dans le
champ politique que cela peut avoir cette signification. (...)
[L'humanisme
écologique] maintient l'homme au centre de la nature, non pas comme
maître et possesseur, mais comme entité consciente et responsable. Dans
cette perspective, on comprend l'intérêt pour la pensée de Teilhard de
Chardin dont le principe d'hominisation - tellement dévoyé - dit
explicitement que l'homme, conscient de sa position dans l'histoire de
la vie, en devient le responsable pour son devenir. C'est l'humanisme
généralisé de Lévi-Strauss ou universel d'Edgar Morin. L'humanisme
écologique s'oppose radicalement à l'écologie profonde ou radicale qui,
tout au contraire, plaide pour une éradication de l'Homme et qui, de ce
fait, est un antihumanisme.
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