Ici, les pièces changent souvent. Seuls les dortoirs et les cellules restent : ils sont maçonnés, en pierre, car le sommeil doit être contenu entre des murs fixes, il ne doit pas être laissé libre de vagabonder.C'est une ville divisée, où hommes et femmes se mélangent rarement, où chaque chose a une place bien précise selon une hiérarchie particulière. Une caste pure et privilégiée, droite dans ses bottes, asservie et docile, et une caste impure, composée de ceux qui rêvent la nuit. Au moindre signe de cauchemar, la personne est directement emprisonnée pour ne pas contaminer les autres. Et chacun est marqué par plusieurs tatouages qui indiquent son âge, son rang... et son impureté éventuelle.
Une révolution se met en place silencieusement, secrètement, jusqu'au jour où une jeune fille est retrouvée la langue coupée, puis intégrée dans la tour des "Tisseuses" : celles qui créent des toiles, des labyrinthes, en l'honneur de la Vierge Tisseuse (référence à la Déesse-Mère, symbolisée par une araignée dans certaines traditions), qui a créé l'Universel Réseau et tout ce qui en découle. De mystères en mystères, un manuscrit sera découvert et amènera ses lecteurs à se poser quelques questions : De quoi sont fait les tatouages ? Le rêve est-il vraiment une maladie ? Que cache cette île ?
Elle rêve les mers et les îles et les arbres. Tandis qu'elle rêvait, la soie naquit du bout de ses doigts et se mit à se glisser entre les chaînes qui reliaient ciel et terre. Ses rêves tissèrent les pensées et les désirs de ceux qui marchent sous les étoiles, leur regard et leur cécité, et tissèrent pour eux une volonté qu'ils puissent suivre. Et ses rêves tissèrent la chose que ceux qui marchent sous les étoiles nommèrent l'âme.Une histoire intéressante, bien menée et plutôt captivante. La Cité des méduses telle que décrite ressemble à un monde fantastique et presque féérique dans son architecture, que l'on imagine aisément, et dans laquelle on se plaît à explorer, quitte à se perdre. Mais qu'on ne s'y trompe pas, c'est aussi un endroit tyrannique, sans scrupule et plutôt horrifiant, une fois qu'on sort de ses parfaits rouages. C'est une critique plutôt acerbe de la société uniformisée qui rejette la diversité, exempte d'humanité et d'empathie, où l'on retrouve le racisme sous sa forme la plus abjecte. Le contact physique y est d'ailleurs presque interdit, à tel point que la fusion qui s'opère entre les deux jeunes héroïnes en ressort de façon ultra-lumineuse, splendide, et très intime.
Tel est le monde qu'elle conçut. Tel est le monde que de ses membres elle protège. Un jour, lassée de ceux à qui elle donna la vie, elle saisira un fil qu'elle tirera, et tout se défera au moment où...
J'ai trouvé à ce livre beaucoup de points communs avec Les Messagers des Vents, tant dans le style que certains éléments du récit. Une lecture qui convient bien aux adultes férus d'imaginaire comme aux plus jeunes - le niveau de violence n'excède pas la lecture d'un Harry Potter, lequel a aussi quelques points en communs, bien qu'il soit difficile d'atteindre le même niveau en un seul roman. J'ai également trouvé plaisant de rencontrer une population très féminine, avec une relation homosexuelle en premier plan (très soft), et une union des forces pour se retourner contre un système oppresseur. Le livre se lit assez vite, mais l'univers est plutôt riche. Bref, une chouette découverte.
Bonus : lire un extrait ici
par Mrs.Krobb
La Cité des méduses de Emmi Itaranta
Littérature finnoise (traduction par Martin Carayol)
Presses de la Cité, janvier 2017
20 euros
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