l'Immeuble avait sept étages et respirait comme un être vivantThéâtre de la vie quotidienne des habitants de Luanda, la capitale de l'Angola, l'Immeuble qui hésite entre ruine, piscine et cinéma abrite quelques familles et personnages esseulés, qui forment un groupe des plus hétéroclites, soudé jusqu'à la mort. Chaque étage vit son lot de misère, de solitude, de maladie, de mort, de petites combines pour survivre, et l'on se déplace de l'un à l'autre comme une ombre indiscrète qui s'abreuve de cette désolation quotidienne où seuls l'amour, la solidarité, le courage et l'humour font barrière contre les ténèbres.
il fallait connaître ses secrets, les particularités utiles ou désagréables de ses courants d'air, le fonctionnement de ses vieilles canalisations, les marches d'escaliers et les portes qui ne donnaient sur rien. de nombreux malfaiteurs avaient expérimenté dans leur chair les effets de ce maudit labyrinthe avec ses passages secrets qui avaient leur propre autonomie, et tous ses habitants avaient à coeur de respecter chaque recoin, chaque mur et chaque dessous d'escalier
au premier étage, les canalisations défoncées et une obscurité terrible décourageaient les distraits et les intrus
l'eau coulait en abondance, incessante, et servait à beaucoup de choses, l'eau était utilisée par tout l'immeuble, on la vendait dans des bidons, on lavait son linge et les voitures
les langues et les flammes de cet enfer tendu dans une marche viscérale d'animal forcé, trapu et résolu, fuyant le chasseur dans la volonté implacable d'aller plus loin, de brûler plus, de souffler sur la fournaise, puis, épuisé, chercher à dévorer des corps ayant perdu leur rythme humain, harmonie respirée, mais caressant des cheveux et des crânes joyeux dans une ville où, pendant des siècles, l'amour avait découvert, entre brumes de brutalitéPlus que ça encore, le roman fait sortir tous les squelettes des placards et secoue les poussières du tapis de mensonges gouvernementaux, de ses fourberies, bassesses, actions inconscientes poussées par l'odeur de l'argent, du profit et du pouvoir. Les personnages politiques sont désespérants de stupidité, d'avidité et d'incompétence. Et que dire des contrôleurs, ces Dupont et Dupond Umpty-Dumpty-esques ? La ville - ancienne colonie portugaise, nouvellement indépendante - qui oscille entre taudis et exhibition des richesses, se voit bientôt trouée comme un gruyère sous prétexte de renouvellement d'un tas de choses, mais surtout pour en exploiter le pétrole souterrain.
ça et là, un coeur à habiter
la ville était dans un chaos inimaginable, entre les travaux récents et les travaux anciens qui avaient lieu en même temps, plus les fameuses excavations de la CIPEL, plus les trous pour l'installation du câble, plus les trous dus aux pluies, plus les trous ouverts que personne ne pensait plus à refermer et les trous des gamins qui vivaient dans les sous-sols de la ville et qui maintenant, pauvres petits, devaient en être expulsés par l'arrivée de nouvelles canalisations ou même par l'installation de la dangereuse machinerie destinée à l'extraction du pétroleOndjaki écrit dans un langage presque oral, fluide, sans majuscules ni ponctuation ou presque, ce qui fait que son roman ressemble à un conte qui se transmet de générations en générations, lui-même agrémenté de petites légendes des anciens. On pourrait même dire qu'il nous fait voir les choses à travers les yeux d'un enfant, avec innocence mais sans naïveté, en augmentant les couleurs et les contrastes, et c'est peut-être même ça qui rend plus dure encore l'effroyable réalité, cruelle et sans pitié. L'ensemble est magnifiquement poétique tout en étant terrible et tragique, et pourtant, quelques sourires ça et là, beaucoup d'humour, d'ironie, de fragilité, de transparence. Avec un petit air - mais tout petit, comme un coquillage dans l'océan - de La vie devant soi, de Romain Gary.
Un livre émouvant, aux personnages incroyablement attachants, un appel à vivre coûte que coûte, à célébrer la famille, les amis, à garder la foi, à ne pas se laisser avoir par un système plus que corrompu qui préfère laisser couler son peuple et son pays pour une poignée de sable.
Bonus : extraits 1, 2, 3, 4, 5
par Mrs.Krobb
Les transparents de Ondjaki
Littérature africaine (traduction par Danielle Schramm)
Points, juin 2017
7,90 euros
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