lundi 28 mars 2016

"Sorcières, sages-femmes et infirmières" - Barbara Ehrenreich et Deirde English

Après Rêver l'obscur de Starhawk, que je vous avais déjà présenté ici, un autre ouvrage de la collection Sorcières des éditions Cambourakis (que je vous conseille fortement de suivre de près). Initialement paru sous forme de brochure à l'attention première de celles et ceux qui désirent en savoir plus sur l'histoire de la médecine, de ses origines à sa masculinisation, jusqu'à la fin du XXème siècle, ce texte féministe et bien documenté a été rédigé à une époque où on commençait tout juste à s'approprier son corps. Les deux auteures, dans l'introduction, font mention de ces réunions de femmes où l'on osait enfin parler de son anatomie, de sa sexualité, de son rapport à soi-même - suite logique des convens de sorcières, où la place est enfin donnée aux femmes. Bien qu'il y ait eu depuis 1973 de gros changements sociaux et médicaux, il ne faut pas oublier que c'est principalement grâce au courage de ces femmes qui ont osé se radicaliser, manifester et revendiquer leurs droits que nous en sommes arrivés là (et ce point sera abordé dans la nouvelle introduction).

Nous commençons par les débuts de la sorcellerie, qui signifie ici une médecine holistique et empirique basée sur des tests et des connaissances acquises hors des livres, généralement exercée par des femmes seules, en marge de la société. Une femme qui soigne, peu importe les moyens utilisés et les résultats obtenus est automatiquement accusée de sorcellerie - ce qui évoquera chez ses contemporains des pactes démoniaques, des danses avec le diable, provocation sexuelle, etc.
Nommer sorcière celle qui revendique l'accès aux ressources naturelles, celle dont la survie ne dépend pas d'un mari, d'un père ou d'un frère, celle qui ne se reproduit pas, celle qui soigne, celle qui sait ce que les autres ne savent pas ou encore celle qui s'instruit, pense, vit et agit autrement, c'est vouloir activement éliminer les différences, tout signe d'insoumission et tout potentiel de révolte. C'est protéger coûte que coûte les relations patriarcales brutalement établies lors du passage du féodalisme au capitalisme. 
Rapidement, nous assistons à une gigantesque chasse aux sorcières, dès lors que la médecine s'embourgeoise et devient une activité exclusivement masculine, réservée à ceux qui auront les moyens de s'offrir l'accès aux études de la médecine ; il ne s'agit donc plus simplement d'un conflit de croyances, mais également d'un conflit de classe sociale et de genre. Il faut se rappeler qu'à l'époque, la médecine était plutôt basée sur les "humeurs" et que le remède globalement admis était la saignée. Il n'y avait aucune connaissance de l'anatomie et il était interdit de disséquer le corps des morts pour pouvoir l'étudier, de même qu'il n'y avait pas de remèdes naturels.

La médecine, telle que décrite dans les années 70, est toujours une affaire d'hommes avant tout. Certes, les femmes ont depuis pu retrouver un accès à la profession, mais dans quelles conditions ? Elles ne sont toujours que les subalternes de ces messieurs, généralement reléguées au statut d'infirmière, d'aide soignante. Les femmes ne devaient toujours pas soigner, mais transposer leur rôle de femme au foyer jusque dans les hôpitaux. Ce n'est qu'après de longues luttes qu'ont pu, de nouveau, étudier et exercer la médecine celles et ceux issus de la classe moyenne, populaire, les personnes de couleur et les femmes. Ce n'est qu'aujourd'hui, après un regain d'intérêt pour les cultures traditionnelles et le chamanisme, que la médecine traditionnelle refait son essor.

Non, les remèdes de grand-mère n'ont pas dit leur dernier mot, les femmes non plus !

par Mrs.Krobb

Sorcières, sages-femmes et infirmières : Une histoirE des femmes soignantes de Barbara Ehrenreich et Deirde English
Essai américain (traduction par L.Lame)
Cambourakis, janvier 2015
16 euros

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire