lundi 13 mars 2017

"Girlfriend dans le coma" - Douglas Coupland

Tout commence avec la mort tragique d'un jeune adolescent, Jared, qui s'effondre sur un terrain de football à cause d'une leucémie. Puis vient le coma foudroyant et mystérieux de Karen, membre du groupe d'amis proches de Jared, juste après son dépucelage. Celle-ci venait par ailleurs de faire part à son petit copain Richard de pressentiments bizarres concernant le futur. Un avenir qui lui fait si peur qu'elle aurait voulu dormir pendant mille ans. Le groupe d'amis sera alors confronté à deux pertes terribles qui, ils s'en rendront compte quelques années plus tard, aura comme stoppé leur croissance normale et terni leurs rêves d'adolescents. C'est seulement lorsque la vie aura perdu tout son sens que Karen finira par se réveiller, provoquant d'étranges remous dans le monde entier.
Nous avions continué notre chemin. Ni Hamilton ni moi n'avions jamais assisté à un tel déchaînement de violence. Cependant, nous n'osions pas exprimer nos craintes, et déambulions les mains dans les poches. "Je me demande ce qui me donne exactement le sentiment insidieux que nous régressons en tant qu'espèce", commenta Hamilton. Un fêtard offensé par ce déploiement excessif de syllabes lui balança un coup de poing au creux de l'estomac qu'il évita de justesse. "D'accord, d'accord, j'ai compris, enchaîna Ham. Je voulais juste savoir où sont les chiottes."
Suivant la lignée de son oeuvre, Douglas Coupland dépeint de nouveau une société typique des années 70-90, avec son lot de clichés, de modes, de personnalités, d'idéaux et de désillusions, dans un style tout à fait juste et fort à propos, qui colle à la peau et aux moeurs. Avec subtilité et une bonne dose d'ironie tragique, il force cette fois à se confronter à notre manque d'ambition, à notre perte d'espoir dans l'avenir, à notre course effrénée à la personnalité, à la reconnaissance. Et surtout, sa plume retransmet incroyablement bien les évènements marquants de ces dernières décennies, avec l'avènement de la technologie, l'arrivée de nouveaux maux de société, le manque de temps et de loisirs, etc. Quelqu'un qui tomberait dans le coma à la fin des années 70 peut-il comprendre le monde du début des années 2000 ?
Les comas sont des phénomènes rares, me dit une fois Linus. Ce sont des produits dérivés de la vie moderne. On ne connaît presque pas de cas répertoriés avant la Seconde Guerre Mondiale. Les gens mouraient, tout simplement. Les comas sont aussi modernes que le polyester, les voyages en avion, ou les micro-puces.
Avec la force et la puissance d'un deus ex machina plutôt incongru et tournant à la dérision, l'auteur appuie bien fort sur ce qui fait mal, sur les travers de la société moderne, et invite le lecteur à grandement reconsidérer sa vie, son rapport au monde, ses rêves, ses objectifs, son impact personnel et son envie de changer le monde. Presque New Age sans l'être véritablement, plutôt comme une farce, cette histoire est sans doute un des chefs d'oeuvre de Douglas Coupland, qui dépasse de loin Génération X dans ses propos, et qui est tout aussi comique que Toutes les familles sont psychotiques, avec cet air d'apocalypse furieuse déjà vue dans Joueur_1.
Le train avait défilé au-dessus de nous pendant cinq minutes. Et si nous mourrions maintenant ? De quoi auraient été faites nos vies ? Et nos ambitions ? Que cherchions-nous ? L'argent ? Non, aucun d'entre nous se semblait avoir de motivations financières. Le bonheur ? Nous étions bien trop jeunes pour savoir ce que c'était. La liberté ? Peut-être. Un des principes primordiaux qui gouvernait notre existence voulait qu'une liberté infinie aboutisse à la constitution d'une société d'individus uniques et fascinants. L'échec de cette théorie aurait entraîné l'échec de notre devoir sociétal. Notre jeunesse exigeait que sa vie ait un sens. Je rêvais de me consacrer à quelque chose, mais à quoi ?
Bref, la fin du rêve américain en grande pompe. Sur une chanson des Smiths.

par Mrs.Krobb

Girlfriend dans le coma de Douglas Coupland
Littérature américaine (traduction par Maryvone Ssossé)
10/18, septembre 2005
9,60 euros

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire