« Sire, c'est une chose bien étrange, une époque bien étrange, quand un dragon est une femme, et quand une fille sans instruction parle le Langage de la Création ! »Ce tome qui vient clore le cycle de Terremer a quelques familiarités avec L'Ultime rivage : un jeune homme se présente à l'Épervier avec de sombres nouvelles, et si cette fois ce n'est pas la magie qui a disparu, ce sont les morts qui viennent frapper à la porte au travers des rêves du jeune sorcier. Nous retrouvons également le nouveau roi, ainsi que la plupart des personnages principaux du cycle, en passant par les femmes de Gont, les mages de Roke et même les mystérieux•ses kargues... Un final entre visible et invisible, vie et mort, hommes et dragons.
» Kalessin a dit : « Il y a bien longtemps, nous avons choisi. Nous avons choisi la liberté. Les hommes ont choisi le joug. Nous avons choisi le feu et le vent. Ils ont choisi l'eau et la terre. Nous avons choisi l'Ouest, et eux l'Est. »Les limites très marquées en début de cycle entre hommes et femmes, mages et sorcières, humains et dragons, langage commun et Langage de la Création, petit et grand peuple, commencent à devenir plus floues, les relations sont de moins en moins tendues et se forgent des compromis pour apprendre à vivre ensemble. Les extrêmes se rejoignent et une promesse de paix commence à poindre : la fin des conflits qui sous-tendent l'histoire de Terremer ?
» Et Kalessin a dit : « Mais il y en a toujours parmi nous qui leur envient leurs richesses, et toujours parmi eux qui nous envient notre liberté. C'est pourquoi le mal est entré en nous, et entrera encore, jusqu'à ce que nous choisissions à nouveau, et pour toujours, d'être libres. » (...)
» Kalessin a alors dit : « Nous formions autrefois un seul peuple. Et c'est en signe de cela qu'à chaque génération d'humains, un ou deux naissent qui sont également dragons. Et dans chaque génération de notre peuple, qui vit plus longtemps que les brèves existences des hommes, l'un d'entre nous naît également humain. »
L'histoire racontait comment le Peuple Sombre de l'Archipel s'est parjuré. Nous avions tous juré de renoncer à la sorcellerie, et au langage de la sorcellerie, et de ne parler que la langue commune. Nous ne nommerions pas de noms, et nous ne jetterions pas de sorts. Nous placerions notre confiance en Segoy, et dans les pouvoirs de la Terre notre mère, la mère des Dieux Guerriers. Mais le Peuple Sombre viola le pacte. Ils incorporèrent le Langage de la Création dans leur art, en l'écrivant sous forme de runes. Ils conservèrent le langage, ils l'enseignèrent, l'utilisèrent. Ils s'en servirent pour créer des sorts, de leurs mains habiles, de leurs langues mensongères qui prononçaient des mots vrais. (...) Les hommes craignent la mort, contrairement aux dragons. Les hommes veulent posséder la vie, comme si c'était un joyau dans un écrin. Ces anciens mages désiraient ardemment la vie éternelle. Ils ont appris à utiliser les vrais noms pour empêcher les hommes de mourir. Mais ceux qui ne peuvent mourir ne peuvent jamais renaître.On en apprend beaucoup plus sur les fondements de la magie, du pouvoir, du langage et de la mythologie, dont les explications avaient déjà un peu commencé au tome précédent. Il y a une évolution continue entre le premier tome où les personnages étaient souvent très binaires, de même que les mentalités, et ce dernier tome où enfin chacun essaie de comprendre son prochain. J'apprécie de plus en plus la sagesse et la solidité de L'Épervier et de Tenar qui sont comme des piliers malgré leur fragilité et leur vécu, l'impressionnante Tehanu également.
Bien que rarement célibataires, les sorcières ne restaient jamais plus d'une nuit ou deux avec le même homme, et il était exceptionnel qu'une sorcière épouse un homme. Il était beaucoup plus fréquent que deux sorcières vivent ensemble, c'est ce qu'on appelait un mariage de sorcières ou encore un pacte de femmes. L'enfant d'une sorcière pouvait donc avoir une ou deux mères, mais pas de père.De l'audace, du courage, de la bienveillance, du soutien, un soupçon de mauvaise foi, mais aussi l'union qui fait la force, et la boucle est bouclée. Chaque personnage a gagné en personnalité, en maturité, en expérience, et c'est avec une pointe de tristesse qu'on les quitte. La fin choisie par Ursula K. Le Guin est à mon sens la meilleure fin qu'elle pouvait donner, et je suis très heureuse du tournant qu'a pris ce cycle sur lequel je pouvais buter un petit peu au début. Ni trop court ni trop long, avec un réel background et une écriture sans longueurs. Un cycle qui finit donc bien abouti, et qui ne manque de rien (on pourra tout de même continuer avec les Contes de Terremer pour finir de bien s'imprégner de cet univers). À suivre pour d'autres cycles...
par Mrs.Krobb
Le vent d'ailleurs de Ursula K. Le Guin
Littérature américaine (traduction de Patrick Dusoulier)
Le Livre de poche, mars 2009
7,30 euros
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire