mercredi 29 août 2018

"Miss Wyoming" - Douglas Coupland

Plus tôt dans la journée, juste avant qu'elle monte sur scène, sa mère l'avait attrapée par les épaules et regardée droit dans les yeux pour lui dire « Seule la petite fille la plus jolie et la plus polie va gagner. Et si ce n'est pas toi, je ne resterai pas t'attendre après. Est-ce que tu comprends ? Est-ce que c'est clair ? »

Susan a grandi dans les concours de mini-miss, poussée par sa mère jusqu'au burn-out total, puis a percé et décliné dans une série un peu ringarde, dans l'espoir de devenir un jour une grande actrice, avant de faire un mariage arrangé avec une rock-star. Le jour où son avion s'écrase et qu'elle est la seule survivante, c'est la chance de sa vie pour repartir à zéro.
John, de son côté, a aussi fui avec sa mère une famille toxique, est devenu producteur de films d'action. Suite à une hospitalisation, il a une révélation sous la forme du visage de Susan et décide de tout abandonner pour tracer sa route - avant de vite revenir, faute d'autre révélation.
Puisqu'ils étaient faits pour se rencontrer, le destin les a réunis. Pour le meilleur et pour le pire.
Et voilà comment une boule de merde gelée, accidentellement larguée par un avion de Philippine Airlines entre Chicago et Manille, paya leur nouvelle maison de Cheyenne.
A priori, le pitch est un peu trop bling, un peu trop flop. Je me demandais bien où l'auteur - tout Douglas Coupland qu'il est - était aller piocher tout ça et, surtout, où il voulait en venir. Mais ! C'est sans compter sur son talent pour la parodie, le bon mot, les personnages iconiques, les situations improbables et la critique sociale.
Si ma mère ne s'était pas enfuie, je serais probablement en cloque du septième gosse de mon propre frère en ce moment - et un autre membre de la famille me volerait l'enfant pour aller le troquer contre un paquet de jeux de loterie.
Un petit air de Toutes les familles sont psychotiques - ne serait-ce que pour le titre. Coupland dénonce les abus familiaux, l'inceste, les parents qui objectifient leurs enfants... et offre des personnages blessés, ballottés, qui ont un besoin vital de prouver leur valeur et d'exploiter tout leur potentiel, qui tentent de combler des trop pleins ou des manques avec tout ce que la société peut offrir de divertissement, d'évasion, d'espoir et de reconnaissance.
« Mon chéri, toutes les facettes de la société Lodge sont malignes. Les produits alimentaires Lodge ne sont pas nutritifs et se gâtent rapidement. Les enfants élevés au lait infantile Lodge tombent malades et meurent. Les produits électroniques Lodge crépitent, éclatent et expirent aussi vite que des grives fonçant dans une baie vitrée. Des milliers d'ouvriers d'usine Lodge souffrent d'emphysème parce qu'ils respirent les solvants utilisés dans la fabrication des chaussures Lodge qui, dois-je ajouter, rendent invariablement leurs acheteurs ringards, boiteux et atteints de mycoses. Les prestataires de services Lodge offrent des parodies bâclées à des prix ultra-excessifs afin de payer leurs énormes frais généraux qui incluent pots-de-vin aux syndicats, drogues, manteaux en fourrure de lynx, et vacances aux Bahamas pour épouses de cadres. La compagnie Lodge est un goitre pour la société, une sangsue pustuleuse et stupide. »
Deux récits en parallèles, découpés sur plusieurs temporalités - ce qui est parfois déroutant - qui, sous prétexte d'une romance un peu bizarre (assez vaguement élaborée), bombarde la société nord-américaine à coups de stéréotypes, non sans humour, non sans recul, et parle surtout de solitude et d'une quête de sens (un peu bâclée). Douglas Coupland jongle entre strass et déchéance, entre le drame et la comédie avec assez de facilité, donnant au tout un ensemble relativement équilibré, qui s'inscrit clairement dans la continuité de ses autres romans. Jusqu'ici donc, il confirme la règle que je peux piocher dans ses livres les yeux fermés et toujours en ressortir surprise ou ravie.
John avait appris au moins une chose pendant son absence : la solitude était le sujet le plus tabou du monde. Pas le sexe, ni la politique, ni la religion. Ni même l'échec. La solitude était le sujet qui faisait sortir tout le monde d'une pièce.
Bonus : extraits 1, 2, 3

par Mrs.Krobb

Miss Wyoming de Douglas Coupland
Littérature canadienne (traduction par Walter Gripp)
Au Diable Vauvert, juin 2017 (original : 1999)
20 euros

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