Pour qu'un message publicitaire soit perçu (...) il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c'est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c'est du temps de cerveau humain disponible.Cette déclaration en dit long sur ce qu'est la culture médiatisée d'aujourd'hui. Plus de réel programme informatif, juste un conditionnement pour faire avaler au public les messages que les autorités médiatiques veulent bien faire passer. Et quoi de plus parlant comme exemple que celui cité par l'auteur de la télé-réalité qui connait son plus gros essor depuis Loft Story. Le principe ? Faire de la réalité une fiction, mettre la vie en scène pour conditionner les mentalités, tout organiser, paramétrer, en faisant croire aux spectateurs que c'est de l'improvisation, et que celui-ci a le pouvoir d'influer sur ce qui se passe.
On en vient directement à l'avènement du story-telling, de la narration, plus particulièrement flagrante aux Etats-Unis, et encore plus depuis l'évènement du 11 septembre 2001. Moins d'informations, moins de discours froid, démonstratif, moins de statistiques, moins de faits réels - et place à l'histoire ! Car, bien sûr, tout le monde a une histoire, et depuis l'apparition des réseaux sociaux sur internet, tout le monde veut partager son histoire, faire de sa vie quelque chose qui attirera des spectateurs, se sentir devenir une célébrité - à l'image de ceux qu'on voit dans les télé-réalité, sans grand talent ni distinction, seulement parce que la réalité est devenue fiction. On ne choisit plus un représentant pour ses qualités professionnelles mais pour sa capacité à raconter des histoires qui feront rêver.
L'anecdote a remplacé l'information. La culture du divertissement a remplacé la culture intelligente. La culture a depuis toujours été l'objet d'innombrables censures, et ce n'est pas prêt de s'arrêter. Le débat, que nous retrouvons sous un autre angle chez George Steiner dans Ceux qui brûlent les livres, se centre principalement sur le formatage des moyens d'expression et l'interdit dans les livres, mais on y voit aussi l'intérêt culturel porté davantage sur l'esprit festif, accessible, familial, bon enfant, bien sous tout rapport plutôt que sur la réflexion, la subversion, l'ouverture, la liberté d'expression, la revendication. Christian Salmon cite plusieurs exemples assez parlants à la fin de son livre - démontrant également que la censure ne vient pas toujours que de l'état mais aussi du peuple, de l'espace et du temps d'information disponible, et qu'on peut le plus souvent être censuré pour avoir tenté de créer un débat sur la censure.
J'ajouterai que c'est d'autant plus pertinent qu'au cours de ces deux derniers mois, deux affaires de censure ont été traitées en justice pour des livres de Simon Liberati et Erri de Luca.
C'est un livre très bien mené pour qui s'intéresse au discours, à la façon dont on fait passer un message, à la façon dont le monde culturel marche, bref, pour qui aimerait qu'on arrête de le prendre pour un mouton "disponible". Je n'ai pas encore lu ses autres ouvrages, mais je conseille à qui de droit d'aller y jeter un coup d'oeil, étant donné que ce sujet y a été largement développé, sous différentes formes.
par Mrs.Krobb
Verbicide - Du bon usage des cerveaux humains disponibles de Christian Salmon
Essai français
Babel, avril 2007
7,50 euros
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