La première partie s'attarde sur le grand mythe de la ruée vers l'Ouest - autrement dit, de la ruée vers l'Or et l'Amérique. On y voit une quête acharnée sur des centaines, voire des milliers d'années, où des petits et grands groupes de personnes se mettent en tête d'aller toujours plus loin vers là où le soleil se couche, pour y trouver ce qui brille, ce qui fera un bon pécule. L'Homme qui veut s'élever à la hauteur du Soleil - donc de Dieu. Guerres, génocides, appropriation, colonisation, exploitation... Rien n'y échappe, jusqu'à ce que fortune se fasse. Les industries grandissent, mais il manque toujours l'essentiel - quoi ? La satisfaction ? La domination ultime ?
Ils étaient croyants sans être fanatiques ; voyageurs sans être nomades. Ils débarquèrent sur les côtes Delaware, et avancèrent vers l'Ouest. Une fois parvenus sur les territoires comanches ou hurons, ils firent une halte. Devant eux s'étalaient de vastes plaines, vierges et cultivables. Ils y virent la liberté de prier leur dieu, et de prospérer. Ils massacrèrent les tribus de l'Est, et s'installèrent.La deuxième partie, qui pousse l'absurde dans ses retranchements, concerne la plupart d'entre nous. C'est l'histoire des grands rassemblements, de la protection offerte par le clan, la tribu, la société. L'histoire qui débute dans des grottes et termine dans un deux pièces minable en centre-ville où l'on étouffe quotidiennement, enfermés dans des boîtes. L'histoire de comment la société, qui était censée unir les hommes, les a finalement déshumanisés au point qu'ils n'aient guère envie ni de se toucher, ni de se parler, malgré la promiscuité. Les unions et les rares instants de tendresse ne sont qu'un soupir parmi le long râle de ce qui ne ressemble plus qu'à un emprisonnement.
Certains cependant n'étaient toujours pas satisfaits. Ceux-là eurent une révélation : ce dieu au nom de qui ils avaient quitté leur patrie n'avait peut-être jamais été que le paravent d'un autre rêve. Ils voulurent émigrer à nouveau, encore plus à l'ouest. On parlait de mines d'or scintillant dans le lit de rivières limpides.
La dernière partie, peut-être la plus intéressante au niveau actuel et la plus lucide sur notre histoire moderne, dépeint l'ironie des nouvelles technologies qui font leur blé sur du vide. Là où la communication semble être en plein essor, on dirait surtout qu'elle n'a jamais été aussi insipide. De grandes promesses pour l'avancée de l'humanité, de grands progrès dans l'industrie, et tout ne tient pourtant plus qu'à un fil : est-ce que tout ne pourrait pas simplement disparaître en une grande panne de courant, réduisant alors toute la grandeur de l'Homme Moderne en une boîte noire, vide, sans intérêt, sans culture, sans tradition ? Un beau parallèle entre science contemporaine et mysticisme, entre culte à un dieu et culte à une machine, entre Jobs et Jésus.
On se souviendra que, chez les Grecs, déjà, se dessinait ce besoin irrépressible de découper chaque mystère de la vie de façon logique en morceaux de plus en plus petits ; de le diviser en autant de portions que nécessaire, jusqu'à l'apprivoiser. Jusqu'à le mater. Atanasoff et Jobs étaient allés plus loin encore : c'est à la vie elle-même qu'ils firent rendre l'âme.Un roman-essai captivant, pertinent et simple, qui appelle à réfléchir sur notre condition, notre histoire, notre but ; il pourrait également servir de dernier sursaut avant l'agonie qui se prépare, cette fin du monde tant attendue et prophétisée qui nous attend tous si nous continuons à chercher l'herbe la plus verte sans pour autant se soucier de sa pérennité, si nous continuons de brasser du vide dans notre perpétuelle insatisfaction et notre éternel besoin de vouloir toujours plus, plus vite, plus près, plus grand.
par Mrs.Krobb
Tribus modernes de Jérome Baccelli
Littérature française
Editions du rocher, août 2008
15 euros
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