Ah, il détestait les demandes de subvention. Les promesses creuses ; la célébration pompeuse des succès passés ; l'emphase auto-promotionnelle et l'usage de plus en plus répandu de mots tels importance et significatif ; l'absence systématique de litote ; l'omniprésence de l'exagération ; l'allégeance servile à la tradition, au protocole et à la procédure établie ; le caractère fondamentalement prévisible des phrases ; l'avidité implicite de la démarche - c'était vraiment atroce, tous ces éléments atteignant leur lamentable paroxysme sous la plume d'Orffmann.Wabash est un centre de recherche linguistique qui se base sur les balbutiements des très jeunes enfants. Au total, un directeur, sept linguistes (dont une seule femme, totalement absente du livre - oups), une secrétaire et plusieurs auxiliaires en puériculture. « Mais vous faites quoi au juste avec ces bébés ? », demande un jour un journaliste venu chercher quelques éclaircissements sur ce curieux projet. Malheureusement, ce sera aussi le jour où un des linguistes sera retrouvé mort dans des circonstances douteuses, dans le bureau d'un autre linguiste.
« Quant aux autres, un seul d'entre eux a un alibi, mais il n'y a que sa femme pour corroborer ses dires, et c'est une menteuse.Les personnages - tous aussi asociaux et suspects les uns que les autres (des parfaits trous-du-culs, dirait David) - tentent de continuer comme si de rien n'était, tout en essayant de mener leur propre enquête, et le drôle de lieutenant ouvre l'oeil. Mais cela ne suffit pas, car des cadavres continuent d'apparaître et l'affaire prend une drôle de tournure. Qu'à cela ne tienne, il faut tout mettre en oeuvre pour faire valoir l'importance de la linguistique et redorer le blason de l'établissement !
- Comment le savez-vous ?
- Des perruches dans leur salle de séjour. Les gens qui ont des perruches sont des menteurs.
Cook se mit à rire.
- Vous n'êtes pas sérieux.
- Si. Quand on est dans la police depuis un certain temps, on apprend ce genre de choses. »
REGLE DE WASH N°8 : hormis ce qui touche à leur petite personne, les gens ne se rappellent généralement de rien, par conséquent, il est plutôt aisé de faire passer les échecs d'hier pour des victoires.Entre comédie à l'anglaise et enquête policière à la Dupont et Dupond, ce drôle de mélange (il est dit au dos - je cite : du David Lodge avec des cadavres ; je vous laisse vous débrouiller avec cette information, je ne l'ai jamais lu) passe comme une lettre à la poste lors de ses bons jours et lorsque ce n'est pas un trop gros colis. Tout y est délicieusement absurde, burlesque, intelligemment écrit, et les retournements de situations sont très bien menés.
Il n'y avait rien de plus merveilleux, songea-t-il, que de parler lorsqu'on avait vraiment quelque chose à dire, et d'user de mots si justes, dont le sens est si limpide, qu'ils ont le pouvoir de secouer la chimie intime du corps de son interlocuteur.S'il fallait encore démontrer la subtilité, la pertinence, l'éloquence et l'humour de la littérature anglaise, vous pourriez commencer ici - bien qu'il s'agisse en réalité de littérature tout à fait américaine. Les littéraires et les puristes de la langue pourront se régaler, et les amateurs de romans policiers y trouver leur compte. D'ailleurs, à sa parution en poche (chez Points, ce qui tombe bien, d'ailleurs, la ponctuation aurait sa place ici), il aurait reçu le prix du meilleur roman 2017 - ce que je ne peux qu'approuver. C'est un livre qui se lit bien et vite, et qui donne aisément envie d'approfondir l'oeuvre de David Carkeet, lui-même un linguiste (presque) parfait. Monsieur Toussaint Louverture, vous nous régalez ! Sauf pour ce qui est du rata grognard. Mais pour le reste : m'boui !
« Comme la vérité est moins intéressante que certaines absurdités, ce sont ces dernières qui restent. »
Bonus : extraits 1, 2, 3
par Mrs.Krobb
Le linguiste était presque parfait de David Carkeet
Littérature américaine (traduction de Nicolas Richard)
Monsieur Toussaint Louverture, juin 2013 (original : 1980)
19 euros
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire