Au départ, il avait espéré pouvoir troquer son whisky contre d'autres biens de consommation, mais les voisins - des éleveurs de moutons, essentiellement, durs à la tâche - ne possédaient ni son goût pour les eaux-de-vie hautement raffinées, ni sa capacité d'absorption. Toutefois, la plupart finissaient par trouver d'autres usages à son élixir : ils s'en servaient comme carburant pour les tracteurs, comme explosif pour faire sauter les vieilles souches et, dilué à raison d'une goutte dans un demi-litre d'eau, comme traitement pour la quasi-totalité des maladies qui pouvaient affecter leur bétail, la diarrhée, le piétin, la douve du foie.C'est un très bon roman pour se lancer dans l’œuvre - succincte mais absolument merveilleuse - de ce vieux loufoque, ce génie incontesté et ce hippie encanaillé qu'est Jim Dodge (m'est avis que s'il s'est procuré cette fameuse recette, il pourrait bien en profiter pour nous en conter deux ou trois nouvelles). Court, simple, bougrement efficace, ce petit livre qui ne paye pas de mine compte pourtant des délices dans chacune de ses pages. Avec des personnages fortement contrastés qui sont fortement attachants, tant dans leurs qualités que dans leurs vices, un attrait certain pour la vie dans la nature sauvage et un pichet d'humour bien tassé, l'auteur signe une sorte de fable bizarre, symbolique, légèrement inspirée de la spiritualité amérindienne.
Chaque fois qu'on lui en offrait la plus infime occasion, Jake adorait expliquer à tous ceux qu'il avait à portée de voix les trois grands secrets qui commandent la tactique à employer lorsqu'on n'a pas la moindre notion de ce que l'on est en train de fabriquer. Ces secrets étaient, dans l'ordre invariable qu'il donnait à sa liste, l'intuition, le raisonnement et le désespoir.Ce que j'aime chez Jim Dodge, c'est que lorsqu'on a aimé un de ses livres, on est tout à fait convaincu d'adorer les suivants. L'oiseau Canadèche peut se lire comme une sorte d'introduction à Stone Junction, étant les similitudes entre ces deux livres : la mort de parents, les figures paternelles de remplacement, l'initiation à la vie sauvage, le soupçon psychédélique, l'impossibilité à vivre selon des normes, la paillardise bon enfant et le piège des jeux d'argent. A ceci près que celui-ci est beaucoup plus accessible, plus abordable, presque un livre à mettre entre les mains de toute la famille. Le tragique est tout à fait compensé par une malice bienveillante et un sens de la solidarité bien développé, malgré les airs bourrus et solitaires ; le piquant du breuvage tord-boyaux est soulagé par le grand bol d'air frais du printemps ; l’irascibilité du grand-père centenaire adoucie par la candeur du petit-fils.
- Que fait ce canard dans mon établissement ?Pour finir en beauté, je vous conseille de vous reporter à la postface de Nicolas Richard (traducteur de Stone Junction), parce qu'en fait tout y est dit, de façon extrêmement bien argumentée et surtout presque aussi drôle que le roman lui-même. Notons d'ailleurs que ce monsieur a traduit pas mal de super bons bouquins et qu'il serait bien de jeter un bec dans sa propre production personnelle (prochain à paraître chez Inculte en 2018, save the date).
- Elle veut voir le film, dit aimablement Titou, devançant son grand-papa qui commençait à écumer.
- Nous refusons absolument tout ce qui sort de l'ordinaire.
Jake explosa :
- Eh ben, ça doit vous faire une petite vie bien merdeuse et salement étroite, non ?
« Si le distillat obtenu par Pépé Jake (...) est effectivement "à 97° pur", alors le petit livre tout aussi spirituel que spiritueux présentement ouvert entre vos mains est à 97° un coup de génie. Les 3% qui restent pouvant, selon l'appréciation de chacun, relever du délire animalier, de l'apologie de la clôture, du manifeste anarchiste, de l'éloge de la vieillesse, du manuel de siphonage à contre-pente, du souvenir de la balle de golf aspirée au bout de 25 m de tuyau d'arrosage, du traité d'échecs sous les séquoias, etc. » - Nicolas Richard pour la postface
par Mrs.Krobb
L'oiseau Canadèche de Jim Dodge
Littérature américaine (traduction de Jean-Pierre Carasso)
Cambourakis, décembre 2010
10,20 euros
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire