Les loups sains et les femmes saines ont certaines caractéristiques psychiques communes : des sens aiguisés, un esprit ludique et une aptitude extrême au dévouement. Relationnels par nature, ils manifestent force, endurance et curiosité. Ils sont profondément intuitifs, très attachés à leur compagne ou compagnon, leurs petits, leur bande. Ils savent s'adapter à des conditions perpétuellement changeantes. Leur courage et leur vaillance sont remarquables.Clarissa Pinkola Estés, diplômée en ethnologie et en psychologie clinique, et surtout et avant tout une conteuse remarquable, qui a su aller fouiller dans les méandres des histoires traditionnelles, initiatiques, fabuleuses, relayées en tous temps de façon souvent orale, et donc parfois déformées au fil du temps. En fin de livre, surtout, elle parle de ce savoir-faire presque perdu, celui d'aller rechercher dans les origines et de dépouiller tout contenu culturel de la censure drastique, effectuée souvent au nom de la religion, de la pudeur - ou de l'incompréhension. Le conte dans son essence porte des messages hautement significatifs mais toujours très symboliques et archétypaux. Les archétypes constituent ce que l'on pourrait appeler un ensemble d'instructions psychiques qui, à travers le temps et l'espace, viennent apporter leur sagesse à chaque nouvelle génération. Elle effectue en cela le même travail que les frères Grimm en leur temps, et nous apporte quelques versions de ces contes, plus brutes, plus vraies, plus nues, plus sauvages, venues de toutes les parties du monde, de toutes les cultures, et qui parleront pourtant à toutes les femmes, au plus profond.
Pourtant, les uns et les autres ont été chassés, harcelés. À tort, on les a accusés d'être dévorateurs, retors, ouvertement agressifs, on les a considérés comme étant inférieurs à leurs détracteurs. Ils ont été la cible de ceux qui veulent nettoyer l'environnement sauvage de la psyché au même titre que les territoires sauvages, et parvenir à l'extinction de l'instinctuel. Une même violence prédatrice, issue d'un même malentendu, s'exerce contre les loups et les femmes. La ressemblance est frappante.
Parfois, la structure originelle des contes se trouve modifiée par des retouches culturelles diverses. Par exemple, dans le cas des frères Grimm (entre autres collecteurs de contes de fées des siècles passés), on soupçonne les conteurs de l'époque d'avoir « purifié » leurs histoires, par égard pour leur religion. Au fil du temps, les vieux symboles païens ont été recouverts par d'autres, chrétiens. (...) Des éléments d'ordre sexuel ont disparu. Des créatures et des animaux bienveillants ont souvent été changés en démons et croquemitaines.Outre cette facette de conteuse, l'auteure est aussi une guérisseuse, une sage femme qui, par le biais de la psychologie de l'inconscient, des symboles, des mythes et des archétypes, va permettre aux femmes de faire connaissance avec leur vrai soi, leur âme ou leur essence, va leur permettre de défricher un terrain trop bien adapté aux convenances masculines et culturelles, et donc de renouer avec leur nature sauvage, indomptée, pure - La Femme Sauvage.
De la sorte, de nombreux contes riches d'enseignement sur le sexe, l'amour, l'argent, le mariage, l'enfantement, la mort, la transformation ont-ils été perdus, comme ont été ensevelis les contes de fées et les mythes susceptibles d'expliciter d'anciens mystères féminins. La plupart des anciens recueils de contes de fées et les récits mythologiques qui sont parvenus jusqu'à nous ont perdu en route leurs éléments scatologiques, sexuels, pervers (par le biais des mises en garde), féminins, initiatiques, pré-chrétiens, les Déesses, les remèdes à divers maux psychologiques et les indications pour parvenir à des extases spirituelles.
La compréhension de la nature de cette Femme Sauvage n'est pas une religion. C'est une pratique. C'est une psychologie au sens stricte du terme : psukhê/psych, âme, et ologie ou logos, connaissance de l'âme. Sans elle, les femmes n'ont pas d'oreille pour l'entendre parler à leur âme ou pour écouter l'horloge de leurs propres rythmes internes. Sans elle, leur regard intérieur est occulté par une main d'ombre et elles passent la majeure partie de leurs journées à s'ennuyer ou à souhaiter que tout soit différent. Sans elle, leur âme ne va plus d'un pas sûr. Sans elle, elles oublient pourquoi elles sont là, elles en font trop ou pas assez, elles restent dans un silence glacé alors qu'en fait elles brûlent. Elle est le cœur qui régularise leur âme comme l'autre cœur, l'organe, régularise leur corps.Nous parvenons donc au cœur même de l'ouvrage, qui est cette idée de la femme immortelle, intemporelle, vieille, sage, protectrice et bienveillante, qui pousse parfois dans nos retranchements pour mieux nous permettre, à nous les femmes, de s'épanouir et de se défaire de toutes sortes de fardeaux, de panser des blessures ancestrales et de comprendre ce qui se passe à l'intérieur même de ce corps que nous avons encore besoin d'accepter, d'apprivoiser, de comprendre, de chérir et de prendre soin, ce temple sacré. Que ce soit par le biais des contes, des rêves, de la psychologie, cette femme sauvage apparaît toujours au moment où l'on en a terriblement besoin. Par ailleurs, je tiens à préciser que de nombreuses jeunes filles et plus vieilles femmes m'ont conseillé ce livre à de nombreuses reprises, et que - sans surprise ? - je n'ai consenti à réellement m'y plonger qu'au moment où il ferait le plus de sens, où je serais prête, où je pourrais le mieux le comprendre, l'assimiler et entreprendre avec ferveur cette quête du moi.
On dit que le professeur arrive lorsque l'élève est prêt. Cela signifie que le professeur apparaît quand l'âme, et non le moi, est prête. Dieu merci, d'ailleurs, car le moi n'est jamais tout à fait prêt. Si cela ne dépendait que de lui, nous resterions la vie entière sans professeur. Nous avons de la chance, car l'âme continue à transmettre son désir, quelles que soient les opinions toujours changeantes de notre moi.Ce livre n'est pas seulement un recueil de contes, une analyse pragmatique et poussée, un essai sur la psychologie ou les symboles, c'est un vrai manuel de vie, une aventure enrichissante et salvatrice qui permet aux femmes de comprendre le pourquoi, le comment, l'être, les blessures, les rêves, et qui enseigne à faire rejaillir cette flamme créatrice, bouleversante, qui hurle de faire, d'agir, de parler, de chanter, danser, écrire, aimer, jouer, peindre, cultiver...! C'est un livre qui aime profondément, véritablement, inconditionnellement et universellement la femme, sans distinction de classe, de race, de privilège ou de culture.
Une grande partie de la psychologie met l'accent sur les causes familiales de l'angoisse et pourtant les composantes culturelles ont un poids aussi lourd, car la culture est la famille de la famille. Si la famille de la famille souffre de maux divers, toutes les familles à l'intérieur de cette culture devront se confronter au même malaise. Dans ma famille, on dit : cultura cura, la culture soigne. Si cette culture guérit, les familles vont apprendre à se soigner, à moins lutter, à avoir une action plus réparatrice, moins blessante, emplie de plus de grâce et d'affection. Si c'est une culture où règne le prédateur, toute nouvelle vie à naître, toute vie ancienne à disparaître vont être maintenues dans l'immobilité ; les âmes des citoyens resteront glacées de peur et auront faim de spiritualité.Je peux dire sans me tromper que c'est un livre à remettre absolument entre les mains de toute jeune fille, femme, mère, grand-mère, de toutes celles qui ont des cicatrices, qui se sentent déprimées, oppressées, vidées, épuisées, dénigrées, de toutes celles qui ont perdu l'élan crucial de s'exprimer, d'être ce qu'elles sont, ce qu'elles veulent. Un livre intergénérationnel qu'il faut se passer sous les jupes, lequel donne envie de rire, pleurer, s'émerveiller, lever le poing, se rebeller, reprendre sa vie en main. Plus que jamais au cœur de l'actualité, même si le féminisme a toujours été une question vitale pour celles qui en sont au cœur, ce récit mérite d'être partagé, lu, relu, cité, étudié.
Cet encouragement à tailler dans son corps ressemble étrangement à la façon dont on taille dans la chair de la terre elle-même, dont on la brûle et on l'écorche, mettant ses os à nu. La blessure de la psyché et du corps des femmes a son pendant au sein de la culture et en fin de compte au sein de la Nature elle-même. Une véritable psychologique holistique considère que tous les mondes ne constituent pas des entités séparées, mais son interdépendants. Il n'est pas étonnant que, dans notre contexte culturel, le problème soit le même pour la femme, le paysage et la culture, dans laquelle on taille au nom de ce qui est à la mode. Les femmes ne pourront certes pas empêcher du jour au lendemain la dissection de la culture et des terres, mais elles peuvent cesser de le faire sur leur propre corps.Et je remercie chaudement Clarissa Pinkola Estés d'avoir été, pendant un temps relativement long - puisque j'ai lu ce livre par étape, en prêtant toute mon attention aux répercussions qu'il a pu avoir le temps de ma lecture - la voix de cette Femme Sauvage, de cette louve, de cette mère ou grand-mère, d'avoir réussi à poser des mots justes, clairs, efficaces, sans fard, d'avoir su donner autant d'enthousiasme, d'élan et de courage tout au long des pages.
En espagnol, elle pourra s'appeler Rio Abajo Rio, la rivière sous la rivière, La Mujer Grande, la Grande Femme, Luz del abismo, lumière de l'abysse, La Loba, la femme louve ou La Huesera, la femme aux os. En Hongrie, on l'appelle Ö, Erdöben, Elle des Bois, et Rozsomák, le glouton - cet animal proche du loup. En navajo, elle est Na'ashjé'ii Asdzáá, la Femme-Araignée, qui tisse la destinée des humains, des animaux, des plantes et des rochers. Au Guatemala, elle est, entre autres nombreux noms, Humana de Niebla, L'Être de Brume, la femme qui vit à tout jamais. Au Japon, elle est Amaterasu Omikami, La Numineuse qui apporte toute lumière, toute conscience. Au Tibet, on l'appelle Dakini : c'est la puissance dansante qui fait voir clair aux femmes.
Bonus : extraits 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22
par Mrs.Krobb
Femmes qui courent avec les loups : Histoires et mythes de l'archétype de la femme sauvage de Clarissa Pinkola Estés
Essai américain (traduction par Marie-France Girod)
Le livre de poche, octobre 2001 (original : 1992)
9, 70 euros
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