Qui peut bien y habiter ? À vrai dire, cela faisait longtemps que plus personne ne se pose la question. Tout le monde s'en fout. Qu'il reste quelques pedzouilles, sans Internet, que les bienfaits de la civilisation n'atteignent pas, n'a pas de signification statistique. Et si personne ne les dérange, ils ne dérangent personne non plus. Un no man's land. Le petit village d'Astérix, mais sans Romains autour. Juste une indifférence. Un oubli.Le décor est planté. Sainte-Croix-les-Vaches, un non-lieu où rien ne semble se passer, avec quelques rares habitants, très peu de femmes, des vaches et des tracteurs. Enfin, en vérité il se passe bien des choses, mais il faut vraiment s'y pencher. Et personne ne le fait. Jusqu'au jour où deux jeunes femmes se ramènent pour tenter de décrocher des soutiens du maire, Thomas, en échange d'une attention politique toute particulière portée à leur village.
Les filles étaient en robe. Des robes d'été. Il faisait beau. Cela fit comme une apparition, dans un film, quelque chose qu'on attendait depuis longtemps, qu'on espérait plus. Elles se garèrent devant la mairie. Thomas cette fois sortit pour les accueillir. Elles dirent : « Bonjour, monsieur le maire », et lui : « Ça va ? Vous avez fait bonne route ? », et elles acquiescèrent, sans réaliser ce que leur irruption avait d'incongru et d'extraordinaire. C'était impossible pour elles. Le gap était trop important. Même en imaginant qu'il y ait rarement des jeunes femmes en robe d'été à Sainte-Croix, elles ne pouvaient pas supposer que c'était à ce point-là, qu'elles étaient plus qu'un évènement. Une fissure, plutôt, dans le flanc de la montagne, qui se répercutait jusqu'au début des Causses, et peut-être le signe d'une nouvelle fertilité.Thomas, c'est peut-être le seul du village à avoir vu la vie en dehors. D'abord parce qu'il a été faire son lycée à Lyon, et qu'il y a découvert les magouilles, le trafic, une façon plus efficace de faire de l'argent et survivre qu'avec un champ. Un jour il héberge à Sainte-Croix un type un peu mafieux, qui se fait liquider très peu de temps après, lui laissant pas loin un butin conséquent, assez pour pouvoir garder les fermes de sa famille. Et pour se lancer dans la culture d'une autre sorte de pousse - la beuh bio. Bien sûr, c'est leur petit secret, à lui et les quelques autres du village, et pas question d'en piper mot à celles qui les trouvent si simplets, charmants, désuets.
La veille, Thomas avait lu quelques lignes du Rivage des Syrtes. Il en était à peu près à la moitié. Le roman était en sa possession depuis qu'il avait récupéré le trésor. Dans un des cartons, il y avait ce livre, et dans un autre deux pistolets et des boîtes de balles. Il avait gardé les pistolets, s'était entraîné à tirer avec, et il avait mis le livre à son chevet, pensant que c'était un signe (en fait, c'était juste un bouquin resté par hasard au fond d'un carton quand Monré avait fait son chargement). Il le lisait par petites doses, se disant confusément que peut-être son destin avait un rapport avec celui d'Aldo et cette cité perdue, cette guerre improbable que décrivait l'auteur.Une histoire pleine de quiproquos, de petits rebondissements, mais surtout un concentré de clichés et de stéréotypes, parfois bien détournés, presque une sorte de vaudeville avec un semblant d'éthique derrière, elle-même légèrement ridiculisée. Mais une histoire cependant qui s'inscrit totalement dans l'actualité, et qui sous-tend les galères des petits agricultures, l'urbanisation forcée, les fausses promesses du gouvernement, les travaux en faveur des grosses industries, le regain d'intérêt pour la permaculture... Bref, on se croirait presque dans une comédie sponsorisée par Kokopelli avec des allures de Banlieue 13 et un soupçon de sorcellerie des campagnes. Un sacré mélange !
C'était ça le problème avec les Français. Le scepticisme. Le manque d'élan. Les gens qui râlaient. Qui n'y croyaient pas.Un pari plutôt réussi, pourtant, et qui vous laissera peut-être envie de continuer l'aventure avec les prochains tomes à sortir... Des personnages plutôt attachants, de la manipulation à peine masquée dans les deux sens, une sorte de mini révolution qui s'enclenche, un enthousiasme un peu forcé, des idées en cascade pour changer le monde, des loups et Thoreau.
Nous n'existons pas vraiment, nous sommes à la lisière, nous aimons cultiver la terre et choyer les taureaux. Vous ne vouliez plus de nous, vous vouliez nous hacher menu, mais nous survivons. Nous sommes le reste d'un souvenir, et nous ne voulons pas mourir.
par Mrs.Krobb
Sainte-Croix-les-Vaches : Le seigneur des Causses de Vincent Ravalec
Littérature française
Fayard, février 2018
18 euros
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