Pour clore la Trilogie Divine, ce troisième (quatrième si l'on tient compte du préquel) et dernier tome s'appuie principalement sur le parcours atypique de Timothy Archer, d'abord avocat puis évêque, à travers les yeux de sa belle-fille, Angel. Avec Jeff, son mari, et Kristen, la future belle-mère - et cette relation ne manque pas de piquant, voyez bien -, ils forment une famille bizarroïde, névrosée et psychotique. Lorsque des manuscrits anciens concernant les fondements du christianisme sont découverts, Tim et Kristen partent en faire la traduction et y trouvent des révélations incroyables et extrêmement troublantes. Et puis, tout bascule.
Quelquefois, je suppose, une idée fixe pénètre dans l'esprit sous la forme d'un problème, ou d'un problème imaginaire. Ce n'est pas si rare. (...)Le ton de ce dernier tome se veut cynique, détaché, désabusé et paranoïaque. Angel, la narratrice, une femme ordinaire de Berkeley à cette époque, intéressée par la littérature et la musique, n'y touche rien en religion ni en mystique. Mais après avoir fini par tout perdre, toutes les relations auxquelles elle s'accrochait et qui rythmaient sa vie tout autant que la foi et l'envie de vérité rythmait celle de Tim Archer, elle commence à se poser certaines questions.
L'idée fixe peut également se présenter, non comme un problème ou un problème imaginaire, mais comme une solution.
Si elle survient sous forme de problème, votre esprit la repoussera, car personne n'a envie des problèmes ou ne les aime ; mais si elle survient sous forme de solution, une solution fausse, bien sûr, alors vous ne la rejetterez pas car elle aura une grande valeur utilitaire : c'est quelque chose dont vous avez besoin et que vous avez fait surgir pour résoudre à ce besoin.
Barefoot tient ses séminaires sur sa péniche à Sausalito. Cela coûte cent dollars pour comprendre les raisons de notre présence sur cette terre. On vous offre aussi un sandwich, mais je n'avais pas faim ce jour-là. John Lennon venait de se faire tuer, et je crois savoir pourquoi nous sommes sur cette terre ; c'est pour découvrir que ce que vous aimez le plus vous sera enlevé, sans doute à cause d'une erreur en haut lieu plutôt qu'à titre délibéré.On ne retrouve pas aussi particulièrement l'auteur dans ce livre, mis à part au moment où Angel devient vendeuse de disques, mais on y retrouve une personne réelle qui lui a été très chère à un moment donné de sa vie, le vrai Timothy Archer, qui est dépeint ici sûrement d'une façon assez similaire et proche, constituant donc un hommage à un homme qu'il considérait comme grand, puissant, révolutionnaire, charismatique, visionnaire, mais aussi un peu perdu.
L’évêque Timothy Archer détenait une bonne part de grandeur, ne serait-ce que par le poids et la taille, et ça ne lui a rien valu de bon ; il gît sous terre comme les autres. Autant pour les choses spirituelles. Autant pour les aspirations. Il recherchait Jésus. De plus, il recherchait ce qu'il y a derrière Jésus : la vérité réelle. C'est un sujet de méditation. Les simples mortels, qui acceptent le mensonge, sont vivants pour en parler ; ils n'ont pas péri dans le désert de la mer Morte. L'évêque le plus fameux des temps modernes a effectué le grand plongeon parce qu'il n'avait pas foi en Jésus. Il y a là une leçon.On ne retrouve pas non plus l'idée de réalité parallèle ou distordue, et peu d'éléments sortent de l'ordinaire, si ce n'est la présence d'un certain au-delà, de façon vague et tiède, seulement pour appuyer l'intrigue. Les références musicales, elles, sont très présentes, comme dans L'invasion divine, avec un amour certain pour la musique classique, les orchestres majestueux, mais aussi une grande part d'humour lorsque Tim Archer essaye de trouver un groupe rock à faire passer lors d'une messe.
« Comment une musique purement abstraite, comme celle de ses derniers quatuors à cordes, peut-elle sans l'aide des mots transformer les êtres humains dans la conscience qu'ils ont d'eux-mêmes, dans leur nature ontologique ? Schopenhaueur croyait que l'art, en particulier la musique, a le pouvoir d'obliger la volonté irrationnelle, celle qui lutte, à se retourner contre elle-même et à cesser sa lutte. Il considérait cela comme une expérience religieuse, même si elle n'était que temporaire. »La boucle est-elle bouclée ici ? Nous revenons dans un espace-temps qui était celui de Philip K. Dick à l'époque, une réalité tangible où la science-fiction a moins sa place que l'élan christique. Ici, beaucoup de remises en cause concernant le christianisme puisque l'essence même de Jésus se voit bouleversée, et que les origines remontent à plus loin, dans ce qui pourrait bien être... un champignon. On peut donc dire que plutôt que d'avoir fini par trouver une réponse à ses questionnements, l'auteur a délibérément construit un labyrinthe en plusieurs dimensions spatio-temporelles pour exposer chacun de ses raisonnements, parcours de foi et théories théologiques. Est-ce qu'on peut dire qu'il a noyé le poisson ? Disons plutôt que cela forme un tout complet et étalé et que ça aura posé un nouveau genre de la science-fiction.
C'est cette volonté d'essayer toutes les idées possibles pour voir si elles convenaient qui a finalement détruit Tim Archer : cela ne fait aucun doute. Il a touché à trop d'idées, les ramassant, les examinant, les utilisant pour un temps, puis les rejetant... mais certaines de ces idées, comme possédant une vie propre, sont revenues sur lui comme un boomerang et l'ont touché. C'est de l'histoire ; c'est un fait historique. Tim est mort. Les idées n'ont pas marché. Elles l'ont trahi et ont attaqué ; elles se sont débarrassées de lui, en un sens, avant qu'il puisse se débarrasser d'elles.
Bonus : extraits 1, 2, 3, 4, 5
par Mrs.Krobb
La transmigration de Timothy Archer de Philip K. Dick
Littérature américaine (traduction par Alain Dorémieux)
Folio SF, juin 2006
8,90 euros
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