Ils m'ont donné une éducation typiquement « hollywoodienne », synonyme ici de « démissionnaire ». Entre deux tournages, sur une page de leur agenda demeurée miraculeusement vacantes, mes géniteurs ont trouvé un créneau libre pour interpréter, hors caméra, une scène de sexe dont je suis le résultat.
Point barre. Leur rôle parental s'est arrêté là. Ils ont dû égarer le reste du script.
Walter Krowley, fils d'un acteur émotionnellement frigide et d'une actrice morte dans sa petite enfance, souffre de cette solitude et la comble comme il peu. Un peu perdu, solitaire, complètement détaché de sa belle famille, il trouve son bonheur auprès de son ami Trevor, qu'il décrit pourtant comme une bombe explosive à chaque instant. Le jour où ils se retrouvent en tort dans un accident de voiture après une soirée de tous les excès, son esprit vacille, ce qui lui vaudra un court séjour en hôpital psychiatrique. Et puis, il y a ces rêves étranges et lucides, dans un monde miroir.
Le Gouverneur de Doowylloh, secondé de ses adjoints, considérant que l'ignorance ou le mépris de la loi sont les seules causes des cauchemars, a résolu d'exposer, dans une Déclaration solennelle, les droits naturels du Citoyen, garants de l'ordre et de la paix.L'Ever (rêve à l'envers, mais aussi à la fois "toujours" et "jamais" en anglais, comme le signale l'auteur) est l'endroit où vont ceux et celles qui dorment. Mais tous n'ont pas la chance d'être maîtres d'eux-mêmes dans ce drôle de monde : les Poltrouilles sont dominés par leurs cauchemars et ne sont pas conscients. Les Rêveurs, en revanche, sont mis à contribution pour cartographier, servir le Gouverneur et la Garde de nuit, amasser du sable... Une drôle de dictature s'instaure dans ce monde, mais les Outlaws sont aussi légions. Walter Krowley, qui fraiera avec les deux, n'est pas au bout de ses surprises...
Article premier. Nul Citoyen de Doowylloh n'explorera de songe sans permission. L'achat, la vente, la possession ou l'utilisation d'une porte des rêves non censurée est un acte de sédition passible d'exécution sommaire.
Acte deuxième. Tout Citoyen de Doowylloh est tenu d'offrir son aide à la Garde de nuit. L'agression, l'obstruction ou la rétention d'informations, face à un garde de nuit, constituent des délits fédéraux.
Acte troisième. Pour des raisons de sécurité, l'existence de Doowylloh doit demeurer secrète. Toute tentative de divulgation, dans le monde de l'Ever ou dans celui de l'Éveil, auprès de non-Citoyens Rêveurs ou Poltrouilles, sous la forme de romans, nouvelles, pièces de théâtre, paroles, séries télévisées, films ou toutes formes de représentation graphique, est passible de l'inculpation de haute trahison.
« Un humain dort un tiers de sa vie. Un tiens de vie supplémentaire dont nous, Rêveurs, disposons pour progresser. Arts, sciences, nous pouvons atteindre des niveaux inaccessibles au commun des mortels... Nous formons le pont entre l'Ever et l'Éveil. Nous avons le pouvoir de convoyer les rêves d'un monde à l'autre. »Le monde des rêves pourrait s'apparenter ici à la noosphère, à l'esprit collectif de l'humanité, où toutes les époques se rejoignent et où toutes les inventions prennent vie. Bouillon de culture fortement prisé, le sable qui en émane attise toutes les convoitises (et donc celle de notre protagoniste, qui se réjouit de pouvoir enfin offrir le meilleur blockbuster possible). C'est aussi un endroit où l'on doit apprendre à apprivoiser son "Ça", bien que ce soit un aspect peu développé dans le livre. Et surtout, c'est un endroit qui abrite bien des avertissements : les Oniromanciens, premiers rêveurs et architectes, aujourd'hui disparus, auraient beaucoup à enseigner, surtout sur les erreurs de l'humanité.
Bientôt, il ne resterait rien des Oniromanciens. Leurs vestiges pillés rentraient sous terre. Nous étions les fossoyeurs de l'Histoire.Romance, western, tragédie, comédie, roman initiatique, ésotérique, science fiction, fantastique, pulp... Un livre aux facettes multiples où les temps sont bousculés, où l'on termine par la fin, où l'on saute à cloche-pied d'une réalité à l'autre, où l'on commence à Hollywood pour finir à Bruxelles, sans pourtant que cela cause préjudice à la lecture. Des personnages en apparence immatures qui gagnent en bravoure et en courage, un monde aux structures branlantes, des interactions inattendues entre l'Ever et l'Éveil qui renferment parfois de sombres secrets ou donnent lieu aux illuminations les plus brillantes.
- Sans mémoire, il n'y a pas d'idées d'avenir, a déploré Banshee.
- Pardon ?
- C'est de Theodore Zeldin, un philosophe anglais. Selon lui, nos idées viennent de notre compréhension du passé. Notre capacité à imaginer l'avenir dépend d'une zone du cerveau également consacrée à la mémoire.
« Nos appétits nous rendent malheureux. Nos peurs nous empoisonnent. La haine nous dévore et la vengeance nous laisse creux. Seuls nos songes nous insufflent l'énergie d'endurer ce monde. Nos vies commencent et s'achèvent avec eux. »C'est un roman qui se lit vite, qui tient assez en haleine, car les aventures sont nombreuses, les enjeux complexes, les retournements de situation garantis. Anthelme Hauchecorne a ici une écriture plutôt maîtrisée, dynamique, qui ne se prend pas trop au sérieux et qui convient autant à un public jeune qu'à un public plus confirmé. Je remercie les éditions French Pulp pour cette agréable découverte !
« Je vous offre le rôle de votre vie. N'y voyez pas qu'une métaphore. Ou vous acceptez ce rôle, ou votre vie s'arrête là. »
par Mrs.Krobb
Journal d'un marchand de rêves de Anthelme Hauchecorne
Littérature française
French Pulp, mai 2018
18 euros
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