Mes anniversaires ont le goût du miel ; l'été a le goût des dattes ; le printemps, celui de l'abricot de Damas ; et l'hiver, celui du thé à la cannelle de ma grand-mère.
Jusqu'aux évènements, j'ai grandi dans ce paradis de couleurs, d'odeurs, de saveurs.
Jusqu'aux évènements, j'ai bronzé au soleil d'Alep, bu l'eau d'Alep, me suis lavée au savon d'Alep.
J'adorais ma ville, mon quartier. J'aimais sentir la chaleur des pierres polies par le temps, entendre le chant des muezzins, m'abriter à l'ombre des églises. J'étais heureuse, légère. Et je n'imaginais pas que la vie puisse en être autrement.
Myriam Rawick est une fillette de six ans, qui habite à Alep avec ses deux parents et sa petite sœur, est heureuse d'apprendre de nouvelles choses à l'école, a une meilleure amie, aime aller au souk avec sa mère, regarder des dessins animés. Elle tient aussi un journal intime où elle relate, en quelques mots, le déroulement de ses journées. En 2011, sa vie tout à fait normale commence à basculer, d'abord subtilement, lorsqu'elle comprend qu'il se passe des choses au niveau politique - choses qu'elle ne comprend pas, au demeurant, et ne peut pas comprendre - puis gravement lorsqu'en 2012 elle entend les premiers tirs, les premières bombes.
À un moment, un bruit a retenti au loin. Long, saccadé. Tout le monde s'est arrêté net. « Kalachnikov », a dit Johnny. Puis, il a expliqué que, un coup, c'est un sniper. Deux coups, c'est un sniper qui a raté sa cible. Plusieurs coups, c'est un règlement de comptes.Jusqu'en 2016, Myriam raconte son quotidien d'enfant dans un pays en guerre. Globalement, ce n'est qu'incompréhension, inquiétude, incertitude, et surtout : de la peur, une peur terrible qui prend aux tripes, à chaque détonation ; de la peur quand l'électricité est coupée, quand l'eau n'arrive plus, qu'il n'y a plus assez à manger ; de la peur quand il faut continuer sa vie, aller à l'école, en courant et en se cachant, passer la plupart de ses journées dans la cage d'escalier parce que l'appartement n'est pas sûr, continuer à dormir quand les vitres explosent, continuer à vivre parmi les morts.
Ce soir, les tirs ne s'arrêtent plus.
Je n'arrive pas à dormir. J'ai compté : depuis que je suis couchée, il y a eu dix bombes. J'en ai assez d'avoir mal au ventre. Je veux jouer dehors. Je veux voir Fadi. Je veux retourner à l'école.Le fait de lire le récit de cette guerre au travers le regard d'une enfant, au jour le jour, fait prendre conscience de l'absurdité, de la violence, de ce que c'est de vivre des années sur le fil du rasoir. Il n'est pas question ici de comprendre les enjeux, de débattre sur les tenants et aboutissants, de savoir qui a tort ou raison, de trouver des solutions : il s'agit juste d'une immersion totale dans ce paradis perdu, avec toute l'innocence possible. Peut-être est-ce que ça rend l'expérience à la fois plus terrible et plus supportable ? En tout cas, la lecture se fait vite, à bout de souffle. Il n'est pas question ici de longues phrases et d'explications sans fin, juste des mots simples, des émotions à vif, juste l'envie d'un retour à la normale. J'ai terminé par ce livre parce que je pensais qu'il serait trop lourd à porter, mais je suis en quelque sorte "contente" de l'avoir lu, d'avoir pris le temps d'essayer de me mettre à la place de Myriam, d'avoir tremblé en même temps qu'elle, parce qu'il ne s'agit plus de faire l'autruche. Et pour moi qui ait la phobie de la guerre et de la mort (quand elles sont pour de vrai), c'était peut-être le meilleur moyen de l'approcher.
J'ai treize ans. J'ai grandi vite, trop vite.
Je sais reconnaître les armes, je sais reconnaître les bombes. Je sais quand il faut se cacher et comment.
Mais, surtout, je sais ce qu'est la mort. La perte de gens qu'on aime, et la peur de mourir.
par Mrs.Krobb
Le journal de Myriam de Myriam Rawick (avec Philippe Lobjois)
Littérature syrienne
Le Livre de Poche, mai 2018
6,90 euros
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