Le Rempart Sud avait qualifié de douzième la dernière expédition, mais Control, ayant compté les cercles, savait qu'il s'agissait en réalité de la trente-huitième itération, dont six « onzièmes » expéditions. L'hagiographie était claire : après la véritable cinquième expédition, le Rempart Sud s'était coincé comme un cd mal enfoncé dans son lecteur, avec presque les mêmes répétitions. L'expédition 5 était devenue X.5.A, qu'avaient suivie la X.5.B, la X.5.C et ainsi de suite jusqu'à la X.5.G. Chaque numéro s'était conformé par la suite à un ensemble particulier de métriques, une nouvelle lettre indiquant de nouvelles variations dans l'équation. La série des onzièmes avait ainsi été exclusivement composée d'hommes tandis que les douzièmes, si elles continuaient avec la X.12.B et ensuite, continueraient à ne comporter que des femmes. Control se demanda si sa mère connaissait l'existence d'un parallèle quelconque dans les opérations clandestines, si sur le sujet du genre, des études secrètes montraient quelque chose qui lui échappait quand il considérait la non-pertinence de cette métrique particulière. Et si quelqu'un ne s'identifiait pas comme de sexe masculin ou féminin ?L'histoire reprend après que certaines des membres de la douzième expédition dans la Zone X soient mystérieusement revenues. Presque toutes, sauf la directrice du Rempart Sud, que l'on connaît sous le nom de la psychologue. Encore une fois, impossible de tirer des revenantes le moindre renseignement utile. La géomètre subit des interrogatoires, sans succès, mais son comportement laisse à penser qu'elle se souvient quand même de quelque chose. John Rodriguez, affecté comme le nouveau directeur, aussi appelé "Control", se voit confier la lourde tâche de reprendre la main sur le Rempart Sud et de livrer ses informations à une entité de plus haute autorité. Bien entendu, rien ne se passe comme prévu, et le mystère reste - presque - entier.
« On ne comprend même pas comment fonctionne chacun des organismes de notre planète. On ne les a pas encore tous identifiés. Et s'il nous manquait simplement le langage pour ça ?»Là où le premier tome se concentrait sur l'environnement inconnu, le deuxième se recentre sur l'humain et la zone "tampon". Le Rempart Sud est ici quasi aussi mystérieux que la Zone X qu'il protège, recèle d'autant de secrets et de non-dits. Il est presque tout aussi compliqué pour Control de le comprendre et de l'analyser que pour les expéditions d'appréhender la Zone X. On retrouve les mots trouvés dans "l'anomalie topographique", ceux que l'on soupçonne écrit par le gardien du phare, phare sur lequel on en apprend un peu plus et qui semble être une clé importante. Les mots ont ici presque valeur de prophétie puisque pour qui lit entre les lignes, beaucoup font écho à se qui se passe tout au long du récit.
« Sommes-nous obsolètes ? Je ne crois pas, non, je ne crois pas. Mais ne demandez pas leur opinion aux militaires sur ce point. Quand un cercle regarde un carré, il voit un cercle mal fait. »
« En tant que physicien, comment réagissez-vous face à quelque chose qui se fiche de ce que vous faites et sur lequel vos actions n'ont aucun effet ? C'est là que vous vous mettez à penser à l'énergie noire et que vous perdez un peu la boule. »
Là où gît le fruit étrangleur venu de la main du pécheur je ferai apparaître les semences des morts pour les partager avec les vers qui se rassemblent dans les ténèbres et cernent le monde du pouvoir de leurs vies tandis que depuis d'autres endroits vastes et mal éclairés des formes qui ne peuvent eister se contorsionnent par impatience des quelques-unes qui n'ont jamais vu ni été vues. Dans l'eau noire avec le soleil brillant à minuit, ces fruits arriveront à maturité et, dans l'obscurité de ce qui est doré s'ouvriront pour révéler la révélation de la douceur fatale dans la terre. Les ombres de l'abîme sont comme les pétales d'une monstrueuse fleur qui éclora à l'intérieur du crâne et développera l'esprit au-delà de ce que tout homme peut supporter...Le roman est long à se mettre en place, alors même que sa chronologie est très courte, si l'on retire tous les souvenirs du personnage principal et la courte accélération à la fin, et ça pèse pas mal sur la lecture. Il ne s'y passe pas grand chose, mis à part quelques redites sur ce qu'on sait déjà, parce que ni la Zone X ni les personnages ne coopèrent à faire avancer l'enquête. Ce qui ne laisse qu'une ambiance bizarre, en décomposition. Couvrez cette étrangeté que je ne saurai voir - que ce soit par la rétention d'information, la mauvaise foi, l'incrédulité, le manque de langage approprié, ou encore une fois, par l'hypnose. Bref, on fait du sur-place jusqu'à la fin qui laisse à présager un nouveau rebondissement, qui saura, je l'espère, nous apporter réponses ou apocalypse finale dans le troisième tome.
Dans un tel contexte, Control pensait aux théories comme à des « causes de mort lente ». Cause de mort lente : extraterrestres. Cause de mort lente : univers parallèle. Cause de mort lente : force inconnue et malveillante qui voyage dans le temps. Cause de mort lente : invasion par une terre d'une autre réalité. Ou une technologie complètement divergente, ou la biosphère fantôme, ou la symbiose, l'iconographie, l'étymologie. Mort de ci et de ça. Mort par indifférence et inférence. Sa préférée « Organisme terrestre vivant à la surface et inconnu auparavant. » Il s'était caché où, toutes ces années ? Dans un lac ? Une ferme ? Les machines à sous d'un casino ? Mais il reconnut son rire contenu pour un début d'hystérie, et son cynisme pour ce qu'il était : un mécanisme de défense lui évitant d'avoir à penser à tout ça.Là où j'avais été super enthousiasmée et interloquée par l'amorce de la trilogie, je me suis au final presque un peu ennuyée ici. J'ai trouvé l'écriture de l'auteur presque laborieuse, sans grand intérêt, une fois enlevé tout le vernis de la découverte, de l'ambiance et de l'intrigant. Les personnages sont soit creux soit pas assez développés, et le Rempart Sud est juste assez flippant pour titiller la curiosité, mais pas assez exploité pour vraiment nous faire retrouver l'ambiance du premier tome. Ce qui en ressort, c'est surtout la superstition, l'incompréhension, l'ingérence, l'incapacité à comprendre ce qui nous dépasse. Mais sans plus. Ce qui m'a un peu réconfortée, ce sont les quelques ressemblances avec Peau de Lapin, de Nicolas Kieffer (qui lui est un super bon livre, je l'ai déjà dit ?). Il y a pourtant pas mal de suspense et de retournements de situation, mais qui surviennent bien tard et n'apportent qu'un semblant de réponse ou de mystère en plus. J'en attends donc beaucoup de la suite, parce que je trouve la Zone X fascinante.
Peut-être « superstition » était ce qui se glissait dans les interstices, les fissures, quand on travaillait dans un endroit où le moral baissait et où les ressources s'épuisaient.Bonus : extraits 1, 2, 3, 4
par Mrs.Krobb
Autorité - La trilogie du Rempart Sud, tome 2 de Jeff Vandermeer
Littérature américaine (traduction de Gilles Goullet)
Le Livre de Poche, octobre 2018
7,90 euros
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