On estime l'âge des proto-langages à près d'un million d'années (époque d'homo erectus), tandis que les premières langues remonteraient à environ 100 000 ans, en gros à l'avènement d'homo sapiens. Dans les deux cas, il s'agirait de langues uniquement orales, les systèmes d'écriture datant, eux, de 6 à 10 000 ans avant notre ère. Là encore, l'incertitude règne : les traces que nous avons découvertes (comme la fameuse pierre de Rosette ou, plus anciennes, les tablettes d'argiles mésopotamiennes et autres kudurrus - stèles de donation de terre - tels que le caillou Michaux, kudurru découvert en Mésopotamie par le botaniste André Michaux (1746-1802) et ramené en France en 1786) sont celles qui ont résisté aux ravages du temps. Une écriture plus ancienne a pu exister, utilisant des supports périssables comme des peaux ou des morceaux de bois.Frédéric Landragin consacre une très grande partie de son livre à d'abord poser les bases de la linguistique, à établir des définitions, à étaler le catalogue des différentes langues humaines, ce qui en fait donc un ouvrage d'abord très technique qui démontre que même au sein de l'humanité, le langage peut constituer une barrière immense à la compréhension (d'ailleurs même au sein de groupes qui parlent la même langue). Ce qui est donc très intéressant, avant de se poser la question de comment parler à un alien, c'est de se rendre compte de la grande complexité de nos moyens de communication verbale ou écrite. Les plus grandes théories exposées sont celles de Sapir-Whorf et celles de Noam Chomsky, qui seront beaucoup développées ici, mais également reprises dans plusieurs romans de SF.
On doit au linguiste Roman Jakobson (1896-1982) d'avoir décortiqué la question de la communication en proposant six fonctions du langage (...) : la fonction expressive (...) la fonction conative (...) la fonction poétique (...) la fonction métalinguistique (...) la fonction référentielle (...) enfin, la fonction phatique (...) En revanche, aucun linguiste n'a jamais proposé de fonction « magique » du langage, fonction fictive qui a fait couler beaucoup d'encre - c'est La Septième Fonction du langage de Laurent Binet - notamment en SF. Ursula Le Guin (1929-2018) dans Terremer, Arthur C. Clarke (1917-2008) dans « Les Neuf Milliards de noms de Dieu », Frank Herbert (1920-1986) dans Dune avec la « Voix », Greg Egan (1961-) avec sa nouvelle « LAMA », ou plus récemment Erik L'Homme (1967-) dans Le Livre des étoiles : ces auteurs et bien d'autres mettent en scène des mots capables d'avoir une action directe sur le monde ou sur les humains. Connaître le nom secret des choses ou le nom secret de Dieu a des conséquences concrètes.L'auteur s'attarde sur quelques livres en particulier, qui peuvent se targuer d'être presque des "linguistiques-fiction", qui reviendront souvent tout au long de l'ouvrage, mais il n'hésite pas à poser en exemple de nombreux autres récits, voire la passion de certains auteurs pour la langue - comme J.R.R. Tolkien - qui n'est pas forcément une langue alien mais simplement une tentative d'invention d'un nouveau langage. Néanmoins, la SF passe presque en second plan, et il est possible que ce livre soit plus attractif pour les amoureux•ses de la langue ou les fans de SF pointilleux•ses sur les détails. Car, au final, nous n'en savons pas vraiment plus sur la façon la plus appropriée de communiquer avec les aliens. Plein de théories plausibles ont été étudiées dans la fiction, mais toutes doivent forcément passer par un certain anthropomorphisme ou des raccourcis évidents pour ne pas alourdir les récits. Le plus simple restant de passer par des choses supposées universelles comme les mathématiques, les chiffres, les codes binaires...
C'est ainsi que le fameux klingon de la série Star Trek a eu un tel retentissement qu'il existe désormais un institut de formation dédié, le Klingon Language Institute ! On y apprend sa prononciation, sur la base de celle de l'anglais (qui s'avère très proche), son écriture, à l'aide d'un alphabet totalement spécifique et plutôt esthétique, et surtout à construire des phrases. Quelques œuvres de la littérature ont été traduites en klingon, car le vocabulaire s'est enrichi au fil des efforts de passionnés. Quand à la grammaire, elle mélange des phénomènes connus et des originalités.C'est un livre relativement pointu et plutôt érudit, très pragmatique et rationnel, qui croise science de la langue et science-fiction, qui m'aura au final appris plus de choses sur nos propres langues que sur celles des extraterrestres, mais qui s'inscrit bien dans la lignée des livres qui viennent valider ou invalider les théories, propos ou intrigues de la SF, que ce soit dans les livres ou au cinéma. En quelque deux cent pages, il aurait été difficile d'approfondir encore plus, même si j'aurais apprécié de faire un tour d'horizon plus large des tentatives de communication alien en SF. Le livre est très bien documenté, avec une annexe fournie concernant la bibliographie, qui regroupe à la fois études sur le langage, livres et films de science-fiction. Au lecteur ou à la lectrice ensuite d'approfondir avec ces données et de faire fonctionner son esprit critique à la prochaine tentative de connexion avec les autres mondes !
Plus récemment, on peut difficilement passer sous silence l'initiative un peu loufoque d'Elon Musk (1971-), qui en février 2018 a profité d'un tir expérimental de la fusée Falcon Heavy pour lancer dans l'espace une voiture électronique Tesla Roadster, avec, dans l'habitacle, un mannequin dans un scaphandre et des messages visibles sur le tableau de bord, dont « fabriquée sur la Terre par des humains » et surtout le fameux « Don't panic ! » repris du Guide galactique de Douglas Adams. Quand la réalité rejoint la SF !Bonus : extraits 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
par Mrs.Krobb
Comment parler à un alien ? de Frédéric Landragin
Littérature française
Le Bélial', octobre 2018
14,90 euros
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