Un logement digne de ce nom ne devrait pas représenter un but, une finalité, mais un point de départ - vers des destinations inconnues et imprévisibles. Car il n'est pas seulement un abri : il est aussi un tremplin.Chez soi, c'est quoi ? C'est d'abord un espace où vivre et assurer ses besoins, un espace pour échapper au monde, un espace pour être dans le monde, un espace où une famille évolue, quelle que soit sa forme, un espace où on peut être soi... Mona Chollet propose une "odyssée de l'espace domestique", en plusieurs étapes, et réussit à couvrir ce sujet assez vaste malgré, souvent, sa petitesse en terme d'espace. Partant de son expérience personnelle, elle couvre le thème de façon globale. Bienvenue chez vous.
« On estime que, dans vingt ans, un habitant de la planète sur trois vivra dans un bidonville ou dans un camp de réfugiés. La réalité, c'est que le monde de demain ne ressemblera pas à Dubaï : il ressemblera plutôt à Lagos, Nigeria. Malgré cela, on continue à former la grande majorité des étudiants en architecture de façon à ce qu'ils sachent construire de ces horribles édifices au milieu du désert, alors qu'on devrait leur apprendre à concevoir des logements adéquats et abordables pour 90% des habitants de cette planète. »Le premier abord du chez soi, c'est donc d'y être. Dans une société où le travail ne laisse que peu de temps à être chez soi, le logement ne remplit presque plus que des besoins vitaux : manger, dormir, se laver, et surtout, avoir un toit. Mais il n'y a pas que le travail, il y a aussi l'injonction à vivre dans le monde, et donc à sortir, voir du monde, faire des choses, optimiser son temps, s'intéresser au reste du monde... Rester chez soi quand on pourrait être ailleurs est donc souvent mal vu ou dénigré. Pour vivre dans le monde, il faut aussi voyager... Et pour une journaliste, c'est une injonction d'autant plus forte. Quelques extraits qui concernent ce chapitre : 1, 2 et 3.
Geography of Home date de 1999, c'est-à-dire de l'époque où l'usage d'Internet commençait seulement à se répandre dans le grand public. Mais son auteure devine déjà les bouleversements que le numérique va provoquer dans notre relation au savoir. Celui-ci ne réside plus, ou plus seulement, dans des livres concrets et dénombrables tapissant les murs d'une pièce : il se réfugie dans le disque dur des ordinateurs, et ces ordinateurs sont connectés. Vous pouvez bien chasser le monde par la porte : il revient par la fenêtre qui scintille sur votre bureau. Et cela change tout. Dès lors, s'isoler chez soi ne revêt plus du tout la même signification.Deuxième partie : Internet. Ou le fait d'être totalement dans le monde sans sortir de chez soi. Un chapitre qui me touche particulièrement, puisqu'étant à la fois un peu ermite en ce moment mais aussi très connectée à chaque heure de la journée. C'est une partie qui touche à la fois à la solitude et à l'hyper-connectivité avec l'autre, et qui déconstruit les préjugés que l'on peut avoir sur ce fait. Mona Chollet réfléchit sur l'avant et l'après Internet, sur la façon dont ça a changé nos espaces intérieurs, notre rapport à la culture, aux relations, à l'espace vital, aux informations, mais aussi le besoin d'efficacité, de rapidité, de connaissance, de réponses... Quelques extraits qui concernent ce chapitre : 1, 2, 3, 4.
Une telle situation amène les plus âgés à voler au secours de leurs enfants ou de leurs petits-enfants. En Europe du Sud, région dont les pays talonnent la France en matière d'inégalités entre les générations et où la crise provoque l'envol des taux de chômage, des familles entières emménagent chez les grands-parents, faute de pouvoir encore payer un loyer, ou subsistent grâce à leur pension de retraite, qui, si maigre soit-elle, a encore le mérite d'exister. Se dessine alors un renversement du principe selon lequel les enfants, une fois devenus adultes, sont censés veiller à la sécurité matérielle de leurs parents.Ensuite, il est question de la façon dont l'économie affecte le logement. Qu'il soit question de devoir habiter en ville ou la campagne, de continuer à vivre chez ses parents ou ses enfants, de devoir passer tout son revenu dans son loyer, de devoir habiter dans "une boîte à chaussures"... Ou qu'il soit question du temps personnel dont on dispose une fois les obligations passées. Bref, quand le chez soi n'est pas une évidence ni un lieu où se sentir réellement bien : extraits 1, 2, 3.
La naissance de la famille moderne au XIXe siècle a marqué l'aboutissement d'un long processus. Dans Caliban et la Sorcière, Federici évoque les chasses aux sorcières qui se déroulèrent aux XVIe et XVIIe siècles, en Europe comme au Nouveau Monde. Elle les replace dans le contexte de l' « accumulation primitive » qui a permis l'essor du capitalisme et pour laquelle ces persécutions ont été aussi importantes, dit-elle, que « la colonisation et l'expropriation de la paysannerie européenne ». Au terme d'un « processus unique d'avilissement social », les femmes, affaiblies, privées de tout pouvoir, ont pu être exclues du travail salarié, assujetties aux hommes et vouées à la procréation. Elles produisaient en effet une ressource qui allaient devenir de plus en plus cruciale : la main-d’œuvre.Et qu'en est-il de la famille ? Du travail ménager ? Un chapitre féministe qui englobe surtout la charge mentale de la femme, qu'elle soit femme au foyer ou femme active, et qui a le "devoir" de subvenir au besoin de toute la maisonnée. Bref, quand le chez soi représente un travail harassant, parfois en plus d'un autre travail en sus. Et... des solutions potentielles, qui consistent en un logement collectif où se réunissent plusieurs ménages, de personnes célibataires, en couple, avec ou sans enfants, en logement légal ou en squat. Quelques extraits pour ces deux chapitres : 1, 2, 3, 4, 5.
Difficile aussi pour un ingénieur ou un architecte de rivaliser avec le réalisateur de film d'animation Hayao Miyazaki lorsqu'il crée le « château ambulant ». Cet assemblage vivant et hétéroclite, hérissé de pistons et de cheminées, se déplace sur des pattes de poulet dans une débauche de cahots et de fumée ; grâce à une poignée intérieure magique, sa porte peut desservir des lieux aux antipodes les uns des autres. Ce coeur domestique foutraque et poussiéreux transbahuté à travers le vaste monde correspond à un vieux rêve.Et pour finir, un peu de rêve, d'imaginaire, de grands espaces bien faits, où tout est permis, où chaque chose est bien conçue... Une dernière partie sur l'architecture, celle qui fonde donc le chez soi, une des premières actrices du logement. Une partie qui propose donc à la fois châteaux et palaces, mais aussi solutions concrètes pour le logement de personnes qui en ont un besoin urgent suite à une guerre, une catastrophe, une migration... Un voyage entre la pensée orientale et la pensée occidentale, entre fiction et réalité, entre désirs et besoins. Quelques extraits concernant cette partie : 1, 2 et 3.
De prime abord, l'usage de matériaux humbles ou naturels peut susciter le scepticisme chez ceux qui n'y sont pas accoutumés. On lui accordera une admiration polie, en le jugeant « poétique », mais sans le prendre au sérieux, quand on ne lui témoignera pas franchement du mépris. (...) Les abris à base de carton de Ban, comme la Paper Log House, créée en 1995 après le séisme de Kobé, ont cependant permis de fournir un toit à des victimes de guerre ou de catastrophe naturelle dans plusieurs pays : Inde, Chine, Rwanda, Italie, Philippines... Ils lui ont valu de devenir conseiller auprès du Haut-Commissariat des Nations unis pour les réfugiés.C'est un livre que j'ai beaucoup aimé lire, parce qu'il me parle, parce qu'il concerne un sujet d'une grande importance et que Mona Chollet a réussi à englober énormément de thèmes dans la toute petite maison qu'est le livre, et à en parler de manière concrète, poétique, sensible, concernée. Il est évident qu'il y aurait encore beaucoup à dire sur le "chez soi", mais ce livre offre déjà une réflexion bien approfondie, claire, et construite. Un livre que l'on apprécie d'autant plus car il nous fait apprécier le simple bonheur d'avoir un moment pour soi, pour lire, découvrir, se poser sans contrainte. Bref, quand habiter est un acte politique, social, parfois révolutionnaire, mais surtout un droit, un besoin, une question de premier ordre en tout temps. Beaucoup d'évidences et de choses qui devraient tomber sous le sens, et pour lesquelles, pourtant, on doit toujours se battre, car même cette chose fondamentale n'est jamais acquise. Voilà un bon préambule pour moi, avant de me plonger dans Beauté fatale et Sorcières tout bientôt.
par Mrs.Krobb
Chez soi : Une odyssée de l'espace domestique de Mona Chollet
Littérature française
La Découverte, octobre 2016
11 euros
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