À l'automne 2011, les éditions Tahin party envisagent une réédition de l'article « Vers une technologie libératrice », écrit par Murray Bookchin en 1965 et publié une première fois dans son recueil Pour une société écologique. Pour compléter ce texte avec des réflexions plus actuelles, nous nous penchons à quelques-unEs sur cet imaginaire qui décrit une société autogestionnaire, écologique et postcapitaliste, et sommes particulièrement touchéEs par l'enthousiasme de l'auteur pour les questions techniques. Un enthousiasme à détailler les solutions matérielles déployées par ses Communes, pour produire les nombreuses choses dont chacunE a besoin. Un enthousiasme pour décrire l'imbrication de la production agricole et artistique, du travail et de la vie, depuis la mise en place de petites usines métallurgiques... jusqu'aux microcentrales nucléaires.Avant de commencer à parler du livre en lui-même, voici ci-dessus et ci-dessous deux extraits de la postface qui présente le projet de façon approfondie. Les Ateliers de l'Antémonde, que vous pouvez retrouver ici, ont été fondés par des personnes militantes (féminisme, anticapitalisme) qui font de l'imaginaire et de l'écriture un outil pour révolutionner les mentalités et imaginer un futur qui évite le catastrophisme et le déni des technologies et propose à la place des solutions concrètes pour sortir de l'impasse dans laquelle nous fonçons à cause des grosses industries. Une fiction alternative au plus proche du réel (et de l'humain) qui prône la collectivité, l'engagement militant, la reprise en main du quotidien. Le livre est rédigé en écriture inclusive.
Nous sommes hostiles à la sacralisation de la Nature, particulièrement répandue au sein des mouvements critiques du capitalisme industriel. Ce phénomène valorise les notions d'authenticité, d'harmonie humainEs/nature, de binarité entre les processus dits « naturels » (forcément bons) et ceux « artificiels » (et donc corrompus). Cette approche sous-entend qu'il existerait une nature humaine originelle, aliénée par la technique et le capitalisme, que l'on pourrait retrouver en brisant nos chaînes... Au contraire, nous considérons qu'il n'y a pas de forme pure ou authentique d'être humainE mais que nous sommes le fruit d'une continuelle construction sociale, imbriquant les contraintes de nos environnements, de nos histoires et de nos luttes, toujours conditionnéEs par nos imaginations subjectives et collectives. Nous rejetons l'idée d'une division Nature/Culture qui dicte ce qui est normal ou anormal en s'appuyant sur un argument d'autorité qui interdit toute subversion de l'ordre établi, le fameux « c'est la nature qui veut ça ».L'histoire prend place en France en 2011 - début de l'Haraka, des évènements révolutionnaires qui ont pris place avec les printemps arabes - et continue en 2021, dans un monde radicalement changé, où des communes autonomes fleurissent dans les ruines du système que l'on a connu. Plusieurs nouvelles, plusieurs décors, plusieurs personnages, plusieurs époques, plusieurs points de vue. Un récit qui réfléchit la communauté, les espaces repensées, l'indépendance, le renouveau d'un système à échelle humaine. Un récit qui nourrit la révolte, l'imaginaire, l'engagement politique et social.
En 2012, j'avais quinze ans et j'étais coincée chez mes parents. Ma vie se déroulait sur un petit nuage. Chouchoutée par mon papa et ma maman, famille protestante bien sous tous rapports, élève à l'École Internationale, je rêvais d'un beau mariage et d'une carrière comme diplomate. J'avais une salle de bains, un dressing personnel et une vision très naïve du monde... Je n'ai pas vu venir la révolution. Je ne comprenais rien à ces grèves et ces blocages et je zappais quand ça en parlait à la télé. De toute manière, je n'étais en lien avec personne d'impliquéE et ça ne m'intéressait pas spécialement. C'est seulement après l'été 2012, avec l'annulation de la rentrée scolaire sur toute la Suisse romande, que j'avais tilté : la vie normale, c'était fini. J'avais brusquement réalisé qu'il se passait ce machin historique dans le monde et dans ma vie, un changement sans retour en arrière possible. Ça avait été une découverte soudaine, violente, archiconfuse.Pour les personnes qui évoluent déjà dans le milieu militant, ce livre semblera assez familier. Beaucoup de dialogues entre personnes qui ne sont pas forcément du même avis pour alimenter le débat et construire plusieurs voies possibles, réfléchir à une inclusion le plus large possible, prendre en compte les différents besoins, faire la part entre ce qui est possible et ce qui ne l'est pas, mettre en commun les qualités et forces de chacunE, se recadrer quand il y a dérive... Bref, un récit qui plonge directement au coeur de l'action, comme si on y était. Qui n'a pas vocation à faire la morale ou à culpabiliser, mais à faire avancer.
« Eh oh, ça suffit Gasp ! coupe Dunya. Tu amalgames tout et n'importe quoi. Tu recommences à bloquer sur cette question des identités. Mais tu n'as rien compris à la fierté des luttes communautaires. Je suis kurde, mon identité est réprimée par le gouvernement turc. Je ne suis pas particulièrement fière mais je ne suis pas honteuse, car ils voudraient m'assigner à la honte. Et ça n'a rien à voir avec la fierté nationale portée par des identitaires de droite ou par le gouvernement d'Erdogan. Tu ne peux pas comparer, Gasp. Il faut prendre en compte les rapports de force en jeu au départ. Les Kurdes, comme les PalestiennEs, sont niéEs dans leur possibilité même d'exister, de décider de leur manière de vivre et de s'organiser. Alors forcément, pour lutter et résister, les gens ont besoin de renforcer le commun qui est renié par le pouvoir en place. Il n'y a pas jeu égal entre ces formes de fiertés. L'une est encouragée et exacerbée par le pouvoir, l'autre est discréditée, tu ne peux pas mettre ces dynamiques en parallèle. »Une dynamique intéressante s'opère ici, avec autant de dureté que de douceur, de réalisme que d'idéalisme, un bon équilibre entre action et dialogue. Je me suis sentie proche des personnages, j'ai partagé leurs rêves et leurs peines, j'ai presque pédalé avec eux et j'ai réfléchi aux solutions proposées en lavant virtuellement mon linge à la main. Je me suis retrouvée dans les grandes lignes, dans les positions, les partis pris. Comme toujours, j'ai été positivement surprise, totalement reconnaissante et résolument satisfaite par les ouvrages de qualité proposés par les éditions Cambourakis, et encore plus la collection Sorcières - et comment ne pas l'être, quand la première page dédicace le livre "À Ursula K. Le Guin, qui nous a ouvert la voie des utopies ambiguës" ?
Bonus : extraits 1, 2, 3
par Mrs.Krobb
Bâtir aussi par les Ateliers de l'Antémonde
(Illustrations de Cix)
Littérature française
Cambourakis, mai 2018
18 euros
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