Après son dîner, il prit l'Histoire de Vénus. Elle racontait la vie des premiers hommes sur la planète à la fin du XXe siècle et décrivait comment l'enfer brûlant de son atmosphère avait pu être tempéré dès le premier quart du XXVe siècle. On avait amené depuis Jupiter des météorites de glace et on les avait mis en orbite autour de Vénus ce qui eut pour résultat de faire pleuvoir pendant des milliers de jours et de nuits. Ces météorites avaient une taille variant de 10 à 100 km3. Une fois fondue, leur énorme masse d'eau pénétra l'atmosphère de la planète puis atteignit sa surface, la dotant ainsi d'océans et fournissant de l'oxygène à son air.Bienvenue dans le XXVIe siècle. La Terre est devenu un tremplin pour la vie sur Vénus, et seuls les humains capables de réussir les tests Ā (prononcer : non-A) pourront avoir le plaisir de s'envoler pour un meilleur avenir. Mais qu'est-ce que le non-A ? Ici, la sémantique est reine. La philosophie non-A, non-aristotélicienne, est un entrainement cortico-thalamique pour faire évoluer la pensée et les réactions de l'être humain. Gilbert Gosseyn est ici pour passer ces fameux tests. Très vite, il découvre que son identité et ses souvenirs sont faux, et qu'il est au centre de ce qui semble être un complot. À moins qu'il ne soit justement le pion pour déjouer un complot. Il découvre aussi, par la suite, qu'il a en réalité plusieurs corps, qui le remplaceront s'il meurt, mais surtout : qu'il a un cerveau second, qui renferme de bien étranges pouvoirs à s'approprier petit à petit. Qui est-il ? Qui est derrière lui ? Et quelle est cette partie d'échec qui se joue à échelle galactique ?
Non-axiomes.J'ai trouvé le premier livre un peu léger quant à son thème principal qui est le Ā, manquant gravement d'explications et le faisant donc passer pour un vague prétexte à un roman de guerre spatiale. Heureusement, ce sera bien rattrapé dans le deuxième et troisième tome, et le non-A prendra donc tout son sens et sera expliqué de façon à être compréhensible au grand public. Enfin, pour la faire courte, il s'agirait d'une sorte d'apologie de l'évolution humaine qui se joue sur le plan purement psychologique et qui ferait donc de notre espèce actuelle une sorte de race un peu arriérée aux raisonnements et réactions encore trop typiquement bestiales. Les humains non-A seraient d'ailleurs par la suite supérieurs aux autres races humaines/humanoïdes de la galaxie, voire de l'Univers. L'humain est donc, ici encore, l'Être Supérieur de l'Univers. Mais il serait faux de dire que seule la sémantique Ā permet à notre héros de déjouer une guerre d'ampleur massive et d'instaurer une sorte de paix à échelle galactique. Se trouveront à côté de lui, petit à petit, d'autres Gosseyn, plus évolués encore, des Prédicteurs•ices, un chef qui a le pouvoir de voir à distance, un jeune empereur capable de mettre le feu avec son esprit, des espions très habiles...
Les données d'Aristote sur la science de son temps constituèrent probablement ce qu'on pouvait savoir de plus précis à son époque. Ses successeurs, deux mille ans durant, sous-entendirent probablement qu'elles étaient valables pour tous les temps. Dans des années moins lointaines, de nouvelles méthodes de mesure détruisirent nombre de ces « vérités », mais elles continuèrent d'être la base des opinions et des croyances de bien des gens. La logique bivalente selon laquelle ces gens raisonnent, a reçu en conséquence le nom d'aristotélicienne - symbole : A - et la logique polyvalente de la science moderne a reçu le nom de non-aristotélicienne - abréviation : non-A, symbole Ā.
Unique et impénétrable, la Machine dominait les êtres humains qu'elle allait classer selon leur culture sémantique. Pas un individu vivant ne savait exactement à quel endroit de sa structure se trouvait un cerveau électromagnétique. Comme tant d'hommes avant lui, Gosseyn se posa la question : « Où l'aurais-je mis, se demanda-t-il, si j'avais été l'un de ces architectes hommes de science ? » Cela, naturellement, n'importait guère. La Machine était déjà plus âgée que tout vivant actuellement existant. Se rénovant elle-même, consciente de son existence et de son objet, elle restait mystérieuse à tout individu, insensible à la corruption et capable en théorie de s'opposer à sa propre destruction.On est ici en plein dans la SF à la fois psychologique et même parfois légèrement mystique (celle très chère à Philip K. Dick, qui est d'ailleurs la raison pour laquelle je me suis lancée dans ce cycle), et dans la SF des guerres de l'espace. Très mâlo-centrée, un peu psychophobe sur les bords, très clichée, pas crédible du tout sur bien des points, mais néanmoins avec deux-trois bonnes réflexions derrière. Et surtout, j'accorde à l'auteur le fait de réussir à monter des intrigues très enchâssées qui permettent de nombreux rebondissements, et le fait d'avoir réfléchi à une société humaine nouvelle. Le deuxième tome est celui que j'ai le plus aimé, peut-être parce que c'est celui qui est le plus abouti. Le premier participe plus au roman d'espionnage et de course-poursuite ; le deuxième exploite les possibilités des multiples Gosseyn et de sa capacité à utiliser son cerveau second de multiples manières dans un contexte militaire, et il (ce tome) questionne également sur les fondements d'une religion et sur ses bases concrètes ; le troisième fait intervenir les habitants d'une nouvelle galaxie, en guerre eux aussi. Le troisième n'était pas vraiment nécessaire et n'apporte pas grand chose, sinon un troisième Gosseyn, qui se prend encore plus pour une sorte d'Être Suprême (mais il faut savoir, à la décharge de l'auteur, que ce roman-là lui a été réclamé longtemps).
Rien de stupide à la base dans l'idée d'un État universel, mais des hommes à la pensée thalamique ne réussiraient jamais à créer que l'apparence extérieure d'un tel État. Sur la Terre, Ā était parvenu à dominer, lorsque cinq pour cent de la population s'était trouvée entraînée selon ses dogmes. Dans la galaxie trois pour cent devaient suffire. À ce moment, et pas avant, l'État universel serait une conception réalisable. En conséquence, la présente guerre était une fraude. Elle ne signifiait rien. Si Enro gagnait, l'État universel résultant durerait une génération, peut-être deux. À ce moment, les impulsions affectives d'autres individus non sensés les amèneraient à comploter et à se rebeller.En remettant le cycle dans son contexte (les deux premiers tomes ont été écrits à la fin des années 40), le cycle du Ā reste un cycle de SF vraiment très intéressant dans son sujet et dans l'insertion d'une donnée plus intellectuelle et philosophique dans un décor militaro-SF qui ne s'en encombre en général pas du tout. Je comprends tout à fait que A.E. Van Vogt ait été une figure de proue de la SF en son temps. Dans une ambiance qui semble maintenant très rétro-futuriste, cet hommage à Alfred Korzybski, cycle entièrement traduit par rien de moins que Boris Vian, l'Univers des Ā, s'il reste assez peu accessible à un•e lecteur•ice novice en SF, présente un des classiques du genre, qui déconstruit un peu les concepts d'espace et de temps.
Bonus : extraits 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
par Mrs.Krobb
Le cycle du Ā de A.E. Van Vogt
Littérature américaine (traduction par Boris Vian)
J'ai lu, avril 2010
11 euros
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