Le monde a connu trois grandes révolutions technologiques et économiques en deux siècles.L'idée de base du livre est intéressante, puisqu'elle nous concerne presque tous et toutes, sachant qu'il s'agit de l'intelligence artificielle (IA) qui devient de plus en plus omniprésente, mais aussi du futur de l'école, qui devra s'adapter à un monde de plus en plus technologique. Là-dessus, j'accorde donc à l'auteur de faire un point essentiel sur l'état des avancées technologiques autour de l'IA et des nanotechnologies, de façon accessible et compréhensible, et de proposer des futurs possibles sur la cohabitation de l'humain et de la machine.
La première s'étend de 1770 à 1850, avec les premières usines puis la machine à vapeur et le réseau de chemin de fer.
La seconde de 1870 à 1910, avec la naissance de l'aviation, de l'automobile, de l'électricité et de la téléphonie. Ces inventions ont changé le monde autour des réseaux électriques et de transport.
La troisième révolution a débuté vers 2000, avec l'arrivée des technologies NBIC (Nanotechnologies, Biotechnologies, Informatique et sciences Cognitives) qui vont bouleverser l'humanité. La dimension révolutionnaire des nanotechnologies tient au fait que la vie elle-même opère à l'échelle du nanomètre - le milliardième de mètre. Une échelle jusqu'alors hors de portée pour nous. La fusion de la biologie et des nanotechnologies va transformer l'Homme en ingénieur du vivant et lui donnera un pouvoir fantastique sur notre humanité.
De HAL 9000, dans 2001, l'Odyssée de l'espace, à R2D2 ou Z-6PO dans Star Wars, l'image du robot redoutable ennemi ou fidèle compagnon est depuis longtemps un incontournable des films d'anticipation. Mais personne n'imaginait que l'Intelligence Artificielle puisse devenir un objet contemporain, traversant l'écran pour atterrir dans notre vie réelle. Et pourtant, l'IA s'est imposée en quelques années comme le principal vecteur des bouleversements qui ont lieu aujourd'hui dans le monde. En vingt ans, nous avons été propulsés du Bi-bop au smartphone, du minitel à la 5G, du tamagotchi à AlphaGo. Internet ou les réseaux sociaux paraissent en réalité des stades presque anecdotiques d'évolution technologique sur lesquels l'IA s'appuie. Elle est partout et ses progrès sont fulgurants. Notre société, déjà, ne saurait plus s'en passer ; elle en devient même plus dépendante à chaque instant.Laurent Alexandre adule tout au long du livre le travail de Google, Facebook, glorifie Bill Gates, palabre sur Elon Musk, et porte l'Amérique et la Chine comme des géants prodiges. Problème : ça va aussi avec toutes les dérives, dont il parle beaucoup d'ailleurs, comme pour les dénoncer (sauf qu'il prouve aussi qu'il est complètement d'accord avec ces pratiques). Au menu : les appareils de télépathie de Facebook qui « permettront de transférer des informations d'humain à humain, ou d'humain à ordinateur. (...) Grâce à une puissante Intelligence Artificielle, ces appareils liront littéralement dans notre cerveau, bouleversant les méthodes éducatives. (...) L'introduction des appareils de Facebook améliorera certes les techniques éducatives mais exigera parallèlement une réflexion neuroéthique approfondie : l'école ne doit pas devenir une institution neuromanipulatrice. »
L'école, sous sa forme actuelle, va mourir. Ce qui reste à déterminer, en revanche, est la façon plus ou moins douloureuse dont elle disparaîtra. Si elle fait trop de résistance, elle risque d'empêcher les enfants, spécialement ceux issus des milieux plus modestes, de profiter rapidement des bénéfices d'un accès inédit à l'intelligence. Surtout, il faut comprendre que la réinvention de l'école sera la condition d'un sauvetage bien plus fondamental : celui de l'humanité tout entière. Car la nouvelle école que nous allons inventer devra nous permettre de relever le défi immense de notre utilité dans un monde bientôt saturé d'Intelligence Artificielle.Pour le reste, le point de vue de l'auteur, la tonalité du livre, les idéologies dangereuses et le catastrophisme m'ont réellement dérangée - et je n'ai fini le livre que parce que je me suis engagée à le faire. J'aurais pu arrêter à la page 29, déjà, lorsque ce monsieur s'est amusé à sortir ce genre de propos : « Seule une IA de phase 3 pourrait sembler intelligente, se faire passer pour un homme - ce qui pose d'énormes problèmes de sécurité - et remplacer par exemple un médecin généraliste ou un avocat. Mais aujourd'hui, l'IA ressemble encore à un autiste atteint d'une forme grave d'Asperger qui peut apprendre le bottin téléphonique par coeur ou faire des calculs prodigieux de tête mais est incapable de préparer un café... », voire même à la page 12 : « L'intelligence est aujourd'hui la seule vraie distinction ; en être dépourvu, le seul vrai handicap. (...) L'intelligence est l'inégalité que la société corrige le moins bien aujourd'hui. À l'heure où les "plafonds de verre" sont combattus avec détermination - sexe, origines ethniques et sociales -, elle est la dernière frontière de l'égalité. » Venant d'un docteur, donc, ces propos en disent long sur la considération DE BASE de l'être humain. Vous l'aurez donc compris, il y aura déjà un discours profondément validiste qui dénigre complètement les personnes handicapées (notamment avec déficience mentale). Qui devraient, selon lui, être éliminées dès avant la naissance. Il ne cache qu'à demi-mot son idéologie clairement eugéniste, dont il fera l'apologie presque tout au long du livre, en disant toutefois que c'est à prendre avec des pincettes (oh oh oh). J'ai d'ailleurs rassemblé un petit florilège de citations et passages effrayants relégués par l'auteur, que vous pouvez voir ici (mais ne vous forcez pas, hein).
Notre société va au-devant de trois crises. Une crise sociale dès la diffusion d'une IA faible ultra-compétitive face à nous. Une crise éthique, lorsque la neuroaugmentation deviendra nécessaire. Une crise existentielle enfin, lorsque l'IA nous défiera dans ce que nous sommes en tant qu'individus et êtres humains. L'école - ou plutôt l'institution qui lui succèdera -, aura la tâche de répondre à ces trois défis.Pour conclure, tout n'est pas à jeter, il y a de réelles réflexions dans ce livre, mais qui sont complètement étouffées sous le catastrophisme (discours de "guerre"), l'apologie du transhumanisme qui passe par la neuroaugmentation et l'eugénisme biologique, la vision du QI comme seule valeur humaine (sans oublier du coup tous les propos bien racistes et classistes - qu'est-ce qu'on se marre, décidément). L'Europe est pour lui décidément trop à la ramasse de privilégier les droits des utilisateurs d'internet pour protéger leur vie privée plutôt que de forcer l'utilisation des données personnelles comme c'est fait ailleurs... Et, pour finir, un discours qui pose clairement l'Homme comme un Dieu, avec tout ce qui va avec. Bref, le livre est un condensé de tout ce que je n'avais vraiment pas envie de lire, avec des discours dangereux et extrémistes. Il y a d'autres façons d'envisager et de parler de l'IA bien plus saines, et je rajouterai que ce n'est pas l'IA qui est une menace, mais bien les personnes qui sont derrière et ce qu'elles en font.
Dans le cadre du Prix des lecteurs Livre de Poche 2019
Bonus : extraits 1, 2, 3, 4, 5
par Mrs.Krobb
La guerre des intelligences : Comment l'intelligence artificielle va révolutionner l'éducation de Laurent Alexandre
Littérature française
Le Livre de Poche, janvier 2019
7,90 euros
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