« Pourquoi on pouvait pas voir les étoiles ? je lui demande. Tout le monde peut les voir. (...)Le récit prend place en Californie, en 2024. Lauren Oya Olamina vit avec son père, pasteur, et le reste de sa famille dans un quartier protégé, isolé, comme tant d'autres, parce que la misère et les violences sont si fortes qu'on ne peut compter que sur soi. Mauvaises politiques, abandon, crise climatique, pauvreté, esclavage... L'avenir ne s'annonce guère prometteur. Tandis qu'elle rêve de conquête de l'espace et d'une nouvelle religion qu'elle commence à créer d'elle-même, baptisée Semence de la Terre, les évènements se déchaînent et son quartier est détruit, avec presque tous ses habitants. Comme tant d'autres, elle part sur les routes avec ce qui lui reste de compagnons pour tenter d'aller là où l'herbe serait plus verte. C'est sans compter la brutalité à laquelle s'expose les personnes qui vagabondent sur les routes, et le fait que l'héroïne - comme de rares autres - est hyperempathique et ressent toutes les peines, souffrances (et quelques moments de plaisir) des gens qui l'entourent. Lauren réussira-t-elle à convaincre qu'il existe encore un Dieu ?
- Les lumières de la ville, dit-elle. Les lumières, le progrès, la richesse, toutes ces choses qui ne veulent plus rien dire à personne, aujourd'hui... Quand j'avais ton âge, ma mère me disait que les étoiles - les quelques étoiles que nous pouvions voir - étaient les fenêtres du ciel. Des fenêtres par lesquelles Dieu pouvait nous surveiller. Et pendant presque une année, je l'ai cru. »
Les gens mettent le feu comme ils l'ont fait chez nous : pour mobiliser les voisins et en profiter pour entrer dans les maisons. Ils mettent le feu pour se débarrasser de leurs ennemis personnels ou de ceux qui ne sont pas de leur race ou de leur clan. Ils mettent le feu parce qu'ils sont frustrés, en colère, désespérés. Ils n'ont pas le pouvoir de se sortir de la misère mais il leur reste celui de faire du mal aux autres.Le ton du livre est sans pitié, il présente la violence sans fard, d'une façon si réaliste que ce qui passe pour de la SF semble tellement toujours d'actualité. Octavia E. Butler signe une histoire très sombre, sanglante, désespérée, à bout de souffle et presque sans espoir, malgré les graines de foi et d'avenir qu'elle sème. L'humanité est offerte comme un essai de mouches. Malgré tout, à travers les personnages principaux, il semble y avoir quelque lumière, une lueur, une union qui fait force à travers les épreuves et une réelle volonté de s'en sortir, de construire quelque chose qui vaille la peine. L'enjeu social est politique est très fort, l'humanité (du moins la partie qu'on en voit) est totalement livrée à elle-même. La Californie brûle, et bien qu'il soit ici question entre autres d'une drogue qui donnerait des envies pyromanes, il n'y a guère besoin d'un prétexte en plus - d'ailleurs ce livre n'est pas tant un roman de science-fiction qu'il pourrait s'inscrire dans la réalité si rien ne change.
« Tout cela me paraît un peu simpliste.Les fondements de Semence de la Terre, qui ponctuent le livre et donne un sens à la quête de Lauren Oya Olamina, désigne le Changement pour Dieu, et place l'humain au centre de la foi : c'est lui qui façonne, c'est lui le reflet de Dieu, c'est lui la cellule qui constitue l'Univers, c'est lui qui décide de sa vie et de son avenir, sans s'en remettre à une autorité. On y voit la difficulté de croire encore quand tout s'effondre - le véritable saut de la foi -, la difficulté de se projeter dans le temps et l'espace quand la seule urgence est de survivre, mais aussi la grande force de caractère et l'exceptionnelle volonté de cette jeune fille même pas encore majeure, capable d'unir des troupes, de leur montrer la voie. Il y a autant de candeur et de naïveté qu'il y a de dureté, de cruauté et de résilience. Le plus gros point fort de ce récit est de placer une jeune fille noire comme véritable héroïne et leader, bienveillante et féroce, courageuse et rêveuse, alors même qu'elle part avec un gros handicap qui pourrait lui coûter la vie.
- Simpliste ?
- Oui, et ceux qui adhéreront à ta "Semence" la rendront plus complexe, plus ouverte à l'interprétation, plus mystique, et plus rassurante.
- Pas tant que je serai là !
- Ils le feront, avec ou sans toi. Toutes les religions changent. Regarde les grandes religions. Qu'est-ce que serait Jésus aujourd'hui ? Baptiste ? Méthodiste ? Catholique ? Et Bouddha ? Crois-tu qu'il serait toujours bouddhiste ? Quelle espèce de bouddhisme pratiquerait-il ?
Il m'a souri et, après un silence, a ajouté :
- Après tout, si Dieu est Changement, alors Semence de la Terre changera avec le temps. »
Mon père me jetait un regard de temps à autre. Il me dit toujours : « Tu peux dominer ton handicap. Tu n'es pas obligée de t'y abandonner. » Il prétend, ou peut-être qu'il le pense sincèrement, que mon syndrome d'hyperempathie est quelque chose dont je peux me débarrasser à volonté. Après tout, la sensation de « partage » que je ressens n'est pas réelle. Ce n'est pas de la magie ou une perception extra-sensorielle qui me permet de partager la douleur ou le plaisir d'autres personnes. C'est purement psychique. Mon frère Keith faisait souvent semblant d'être blessé, juste pour voir si je pouvais partager sa prétendue douleur.Je ne conseillerai pas ce livre à tout le monde, parce qu'il peut vraiment déclencher quelque chose de douloureux (mentions nombreuses de violence, esclavage, meurtres, viols...), néanmoins je pense quand même qu'il est vraiment important de célébrer la puissance de l'écriture d'Octavia E. Butler - autrice noire de science-fiction que je n'aurais peut-être pas connue sans Libère-toi, Cyborg ! de ïan Larue. La Parabole du semeur a une suite, La Parabole des talents, dont je vous parlerai tout bientôt.
Bonus : extraits 1, 2, 3, 4, 5, 6
par Mrs.Krobb
La parabole du semeur de Octavia E. Butler
Littérature américaine (traduction par Philippe Rouard)
Au Diable Vauvert, octobre 2001 (original : 1993)
14,50 euros
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