Une formule célèbre dit que « nous ne voyons pas le monde tel qu'il est mais plutôt tel que nous sommes ». C'est une vérité profonde que les travaux de science cognitives confirment aujourd'hui le monde nous renvoie en permanence une multitude de signaux, nous en réduisons l'ambiguïté en choisissant ce que nous voulons voir. Ainsi, petit à petit, notre interprétation du monde nous façonne psychologiquement, culturellement et socialement. Cela ne veut pas dire pour autant que nous pouvons voir tout le temps ce que nous voulons voir, en d'autres termes que rien n'existe vraiment et que nous sommes libres de façonner notre propre réalité simplement en l'imaginant dans notre tête (...). Le réel existe et il est intangible, quand bien même on ne saurait l'appréhender sans que notre cerveau ne l'interprète.Ce livre s'inscrit fortement dans les problèmes actuels de fake news (infox), et tend à faire comprendre de façon simple et accessible sans la vulgariser la façon dont "notre cerveau nous joue des tours", mais aussi la façon dont nous sommes aisément manipulé•e•s sans forcément nous en rendre compte. La première partie se concentre sur deux choses très essentielles dans la perception du monde : les yeux et le cerveaux, en partant de choses ludiques comme les illusions d'optiques et les tours de magie, pour approfondir en allant comprendre le fonctionnement du cerveau dans l'assimilation l'analyse des informations. Puis l'auteur introduit l'approximation, l'intuition et la réflexion.
Suite aux travaux de Kahneman et de Tversky, des centaines de biais cognitifs ont été répertoriés et des chercheurs continuent à en identifier régulièrement. Deux des biais dont on parle le plus en cette période d'avènement des infos, nouveau terme utilisé pour parler d'informations fausses ne reposant sur aucun fait, sont le biais de confirmation et le biais de la preuve anecdotique : le biais de confirmation nous pousse à ne prendre en compte que les informations qui renforcent nos opinions, nos convictions et nos croyances, et de rejeter comme fausses toutes les autres idées qui pourraient nous être présentées. Le biais de la preuve anecdotique intervient quand nous utilisons un exemple anecdotique pour justifier notre raisonnement.Ensuite, nous voyons comment le stress influence notre comportement et notre vision du monde, de même que l'illusion des certitudes et des connaissances, la dissonance cognitive, le locus de contrôle, et l'impuissance acquise. Albert Moukheiber définit les différents biais cognitifs : biais d'ancrage, biais de confirmation, biais de notoriété, biais de représentativité, biais de sélection, biais de stéréotype négatif, biais de surconfiance, biais du moment présent, biais fondamental d'attribution et biais négatif d'interprétation... Que vous pourrez retrouver dans le glossaire de fin d'ouvrage si ces notions ne vous sont pas familières. Il aborde également les différentes erreurs que nous pouvons faire régulièrement dans nos jugements : erreur de la cause unique, erreur de la fausse équivalence, erreur de la preuve anecdotique, erreur du raisonnement binaire...
Nous surestimons en permanence notre capacité à comprendre le fonctionnement du monde, l'important est d'en avoir conscience et de ne pas nous arrêter au pic de confiance chaque fois que nous découvrons une nouvelle discipline, que nous sommes confrontés à de nouvelles idées. Au contraire, acceptons de plonger dans le vertige de la connaissance : nous l'accepterons d'autant plus que, comme en témoigne la courbe [de l'effet Dunning-Kruger], après le découragement face à l'étendue de ce qu'il nous reste à apprendre vient la remontée vers une connaissance plus solide.Bien que le livre s'attarde beaucoup sur la façon dont nous nous dupons nous-mêmes sans s'en apercevoir ou volontairement, il laisse aussi une grande part à la manipulation volontaire des individus grâce à la dissonance cognitive, les fake news, mais aussi le gaslighting. Il prend en exemple une fable de La Fontaine, une expérience collective dans une secte de culte apocalyptique, l'effet « Franklin », l'effet Barnum... mais aussi, plus récent : l'exemple de la ligue du LOL.
Le gaslighting est un autre type de détournement cognitif qui s'appuie sur une manipulation de la mémoire : il s'agit de faire douter sa victime de sa mémoire ou carrément de sa santé mentale en présentant certains faits de façon tronquée, en modifiant quelques éléments du souvenir initial en lui disant qu'elle a tout inventé, ou qu'elle perd la raison. Cette forme d'abus émotionnel peut prendre plusieurs formes. (...) C'est aussi ce qu'ont fait certains membres de la « ligue du LOL », groupe Facebook créé en 2010 et composé quasi-exclusivement d'hommes, qui ont décidé de harceler en ligne « pour rire » des journalistes et des militantes féministes. Cela n'avait pourtant rien d'un jeu d'enfants : des membres de la ligue du LOL ont utilisé des images pornographiques pour faire des montages avec les photos des visages de certaines journalistes, d'autres les ont harcelés de messages haineux. (...) Lucille Bellan, journaliste, raconte dans Slate le harcèlement qu'elle a subi, et parle du moment où elle a senti qu'elle commençait à douter d'elle-même et à se dire qu'elle ne valait rien : « C'est difficile de s'assumer en tant que victime. Surtout là où tout peut être recouvert par le vernis de l'humour. Les mauvais jours, on se répète "je n'ai peut-être pas compris correctement", "mon papier n'était pas si bon que ça", et puis on encaisse. »Pour finir, l'auteur réserve un chapitre à l'importance du contexte et un autre pour améliorer sa flexibilité mentale. Il est à noter que pour chaque notion, il fait appel à de nombreux exemples d'expériences quotidiennes et à des études scientifiques et sociales pour nous aider à comprendre et à mettre en contexte ces concepts de pensée et de perception. Le livre est donc d'utilité publique et facile à lire, à comprendre, et fait un tour assez global de la question de la perception de la réalité. J'aurais aimé en apprendre encore plus, mais c'est une approche très claire et limpide qui s'appuie sur de nombreux exemples récents afin de mieux poser ces concepts dans l'actualité. Albert Moukheiber est Docteur en neurosciences, psychologue clinicien et chargé de cours à l’Université de Paris 8 Saint-Denis. Il est l’un des fondateurs de Chiasma, collectif de neuroscientifiques s’intéressant à la façon dont se forment nos opinions, et a été notamment invité sur le plateau des TEDx pour cette vidéo.
Alors que chacun de nous est soumis à un flot continu d'informations, le défi est moins de lutter contre l'ignorance que contre l'illusion de connaissance. Il est plus facile d'apprendre des choses à une personne qui sait qu'elle ne sait rien, qu'à celle qui croit savoir alors qu'elle ne sait pas.Bonus : extraits 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
par Mrs.Krobb
Votre Cerveau vous joue des tours de Albert Moukheiber
Essai français
Allary, avril 2019
19,90 euros
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