Ce travail a également été motivé par la réémergence d'un ensemble de phénomènes, généralement associés à la genèse du capitalisme, qui accompagnent la nouvelle expansion mondiale des rapports capitalistes. Parmi ces phénomènes, on assiste à une nouvelle série d'enclosures qui a chassé des millions de producteurs agricoles de leur terre, une paupérisation massive, ainsi que la criminalisation des travailleurs par une politique d'incarcération rappelant le « grand renferment », décrit par Michel Foucault dans son étude sur l'histoire de la maladie mentale. Nous avons aussi été témoins, sur toute la planète, d'exodes allant de pair avec la persécution des travailleurs migrants, qui rappellent une fois encore les Bloody Laws [Lois sanglantes] introduites en Europe aux XVIe et XVIIe siècles pour permettre l'exploitation des « vagabonds ». Pour ce livre, le phénomène le plus important a été l'intensification de la violence faite aux femmes, y compris, dans certains pays (par exemple l'Afrique du Sud et le Brésil), le retour des chasses aux sorcières.Cet extrait de l'introduction de Silvia Federici à son livre résume à lui seul la démarche de réflexion de l'autrice, qui parle de la chasse aux sorcières par le spectre de l'essor du capitalisme et de ses conséquences sur la propriété, l'accumulation, le rapport au corps et à la reproduction, et enfin la condition des femmes. N'étant pas moi-même très calée en histoire (il semblerait qu'il y ait des inexactitudes, mais n'oublions pas que l'autrice n'est pas historienne de formation), la première partie de son livre m'a beaucoup appris / rappelé les conditions de vie au Moyen-Âge et à la Renaissance, et quels étaient les rapports entre hommes et femmes, employeur•se•s et employé•e•s, souveraineté et peuple, etc. Le tour d'horizon dévoilé est très complet, précis et détaillé, et installe des bases assez solides pour comprendre comment se sont développés les rapports d'autorité et d'oppression. C'est donc un ouvrage à la fois social, économique et féministe, qui traite également de ce que la religion dominante a joué comme rôle dans cette évolution.
C'est au cours de la lutte antiféodale que nous trouvons trace de la première occurrence connue dans l'histoire européenne d'un mouvement populaire de femmes s'opposant à l'ordre établi et participant de l'élaboration de modèles de vie communautaires alternatifs. La lutte contre le pouvoir féodal produisit aussi les premières tentatives organisées de mettre en cause les normes sexuelles dominantes et d'établir des rapports plus égalitaires entre hommes et femmes.La deuxième partie du livre s'attarde sur le mouvement de la chasse aux sorcières telle qu'elle s'est déroulée dans différentes parties d'Europe, mais aussi telle qu'elle s'est déroulée lors de la colonisation des Amériques, lors de la traite des esclaves d'Afrique. Silvia Federici offre un parallèle intéressant, sans comparer nécessairement ce qui ne peut l'être, mais en montrant comment ces mouvements se sont inter-influencés et les répercussions que cela a eu par la suite pour les populations et individuEs qui ont subi, plus qu'une oppression généralisée, une véritable hécatombe. Cette partie explique le choix du titre choisi par Silvia Federici, qui fait référence à La Tempête de William Shakespeare.
Et en effet, les anciennes religions furent préservées en grande partie grâce à la résistance des femmes. La signification des pratiques associées à ces religions se transforma. Bien que les cultes soient devenus clandestins, au détriment de leur aspect collectif dans la période précoloniale, les liens avec montagnes et autres sites des huacas ne furent pas détruits. On trouve une situation similaire dans le Mexique central et méridional où les femmes, surtout les prêtresses, jouèrent un rôle important dans la défense de leur communauté et de leur culture. D'après Resistencia y Utopia [ Résistance et Utopie] d'Antonio Garcia de Leon, dans ces régions, et à partir de la conquête, les femmes « dirigèrent ou conseillèrent toutes les grandes révoltes anticoloniales ».Je ne vais pas faire un travail d'analyse poussée sur cet ouvrage (d'autres que moi l'ont déjà fait), car je n'ai pas les connaissances nécessaires pour le faire, mais je peux vous donner mon ressenti. Il s'agit pour moi d'un ouvrage plutôt pointu sur la question et qui utilise de nombreuses sources pour étayer les réflexions dont il se fait le porte-parole, et qui nécessite de vraiment prendre le temps d'assimiler et de questionner ce qui est dit. J'apprécie le fait que même s'il est principalement question de la condition européenne, on fasse aussi le tour de ce qui s'est passé ailleurs au même moment afin de mieux poser ce qui s'est déroulé sur une même période et de comprendre ce qui a induit un système d'oppression et de répression absolument cruel pour une population donnée. Il est très intéressant de noter que même si le sujet fait date, il est toujours autant d'actualité d'aujourd'hui, alors que les femmes ne disposent pas toujours de leurs propres corps, de leurs propres possessions, du fruit de leur travail, de leur droit à ne pas avoir envie de faire des enfants, et que la société dominante blanche est toujours aussi raciste, sexiste, classiste, (etc.), ce qui induit que les populations opprimées subissent encore le colonialisme au quotidien.
Ce qui mit fin à la chasse aux sorcières (comme Brian Easlea l'a démontré de manière convaincante) fut l'annihilation du monde des sorcières et la mise en place de la discipline sociale dont le système capitaliste victorieux avait besoin. En d'autres termes, la chasse aux sorcières prit fin, à la fin du XVIIe siècle, parce que la classe dominante se sentait alors de plus en plus en sécurité quant à son pouvoir, et non parce qu'une vision plus éclairée du monde avait émergé.Vous pourrez retrouver sur cette page toutes les citations que j'ai regroupées par thèmes et qui vous donneront un bon aperçu des sujets explorés et de la direction prise par Silvia Federici pour expliciter la chasse aux sorcières. Je vous laisse également lire cet article détaillé pour chaque chapitre du livre, écrit par Franz Himmelbauer sur La voie du jaguar.
Les chasses aux sorcières qui ont lieu actuellement en Afrique et en Amérique latine sont rarement signalées en Europe et aux États-Unis, de la même manière que les chasses aux sorcières du XVIe et XVIIe siècles furent longtemps délaissées par les historiens. Et même lorsqu'elles étaient mentionnées, leur signification a généralement été sous-estimée, renvoyée à l'idée courante que de tels phénomènes appartiennent à une époque depuis longtemps révolue qui n'a rien à voir avec « nous ». Mais si l'on tire les leçons du passé, on réalise que la réapparition des chasses aux sorcières dans de nombreuses parties du monde au cours des années 1980 et 1990 est un signe évident du processus d' « accumulation primitive ». Cela signifie que la privatisation de la terre et des ressources communales, la paupérisation des masses, le pillage et la discorde dans des communautés qui étaient unies sont à nouveau au programme, à l'échelle mondiale.
par Mrs.Krobb
Caliban et la Sorcière - femmes, corps et accumulation primitive de Silvia Federici
Littérature américaine (traduction par le collectif Senonevero)
Entremonde, mars 2017 (original : 2004)
24 euros
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire