jeudi 14 mars 2013

"Julie ou la dissolution" - Marcel Moreau

Merci encore à Gaëlle pour m'avoir prêté ce livre, qui est comme un bâton de dynamite qu'on vous laisse dans les mains avec pour choix de soit le lancer, soit exploser avec. J'avais déjà lu Une philosophie à coups de reins, qui est plus difficile de lecture mais qui est aussi un pur régal, et après avoir rencontré le bonhomme, il fallait bien que je continue dans ma lancée, parce que c'est un monument à lui tout seul.

Ce livre-là, c'est comme un Traité sur Comment savoir Vivre. A l'instar d'Alexandre Jardin (même si comparer ces deux-là est un peu tiré par les cheveux et que je me ferai taper sur les doigts), Marcel Moreau propose une façon d'exister qui est plus que de la survie en monde hostile. Des personnages, végétatifs, emprisonnés dans un bureau, emprisonnés dans des envies, des silences, des règles de bienséance, attendent tous intérieurement qu'un évènement se produise, mais aucun n'est capable de poser la première pierre, aucun n'est capable de la moindre audace. C'est alors que surgit... Julie. Déesse de la tentation, de l'espièglerie, du désir et de l'oisiveté. Tout en elle suscite la débauche, la passion débordante, et l'inconstance. Alors même que tout le monde est choqué par ce manque de respect pour le travail et qu'ils sont priés de la remettre sur le droit chemin, tous se retrouvent pris dans le piège de cette sirène à qui on ne peut rien refuser. Hypnotisante, elle entraîne tout le monde dans la décadence, les laissant ensuite comme des poissons hors de l'eau, pour aller scintiller ailleurs.

Le tout est bien évidemment chargé d'une tension et d'une énergie sexuelle hors de contrôle, complètement étouffante - comme la chaleur qui règne - et irrémédiable. Comme un orgasme permanent, dans l'attente d'un deuxième, puis d'un troisième, qui occulterait tout autre besoin vital. De quoi ridiculiser bon nombres de livres se voulant érotiques.

Et puis la mort, aussi, toujours présente, sale, nauséeuse, à laquelle on aimerait vomir à la gueule, ou bien que l'on aimerait secouer, piétinner, cajôler. La mort que l'on oublie au profit du reste, celle que l'on attend, celle que l'on regrette, celle qui reste tatouée sur la peau.

Si le livre n'est peut-être pas à prendre au pied de la lettre, il est important tout de même d'être heureux, libéré, de s'adonner à ses envies pour ne pas être entouré de frustration. Et qu'est-ce que le plaisir de taper un texte scientifique à la machine plutôt que le plaisir d'inventer des hybrides sexués, baveux, terribles, et d'en recouvrir les murs de son bureau ? L'orgie de fin fait tourner la tête comme un manège enchanté duquel on ne peut plus descendre, et sur lequel on peut voir arriver la fin, la dissolution, parce que rien ne peut être construit sur le chaos autre qu'un édifice apocalyptique. Marcel est comme toujours jouissif, le seul capable de vous apprendre ce qu'est la Fruition.

par Mrs.Krobb

Julie ou la dissolution de Marcel Moreau
Littérature française
Labor, mai 2003 (pour la seule édition encore disponible)
4,80 euros

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