jeudi 3 mai 2018

"Planetfall" - Emma Newman

Les enfants se satisferont-ils de cette histoire de l'immortelle Éclaireuse attendant son heure, maintenue en vie par les surnaturels arcanes de ces lieux ? Dans quatre générations, nos descendants auront-ils inventé d'absurdes histoires sur Suh et les fondateurs de la colonie ? Et dans huit, se résumeront-elles à de simples allégories ?
Suite à la découverte d'une nouvelle plante étrange dans une réserve naturelle qui induit un coma plein de révélations, Lee Suh-Mi convainc Renata Ghali, la narratrice, ainsi qu'une bonne équipée de spécialistes, de s'aventurer sur une nouvelle planète sensée abriter la Cité de Dieu, les réponses à l'humanité. Cette première équipée fonde une colonie sur cette planète viable et respirable, dans l'attente de découvrir ses secrets, qui tardent à être révélés. Mais on découvre bientôt qu'il y a anguille sous roche...
Ce sont peut-être des scientifiques et des experts - choisis parmi des milliers d'aspirants à chaque place à bord de l'Atlas -, mais ils n'en reste pas moins des gens. De petites choses effrayées, mal assurées, perdues à des milliards de kilomètres de chez elles.
La colonie est donc implantée près de la Cité de Dieu dont on n'apprend rien tout au long du récit, si ce n'est qu'elle ressemble à un système digestif (super). Sachant que c'est le point d'orgue du roman et la base même du récit, c'est un peu pauvre. On retrouve quelques points de comparaison avec Annihilation de Jeff Vandermeer : le côté très organique, biologique, d'un nouvel environnement qui se calque sur ce que l'on connaît et apporte des variations pour appuyer le côté science fiction. Comme le premier tome de la Trilogie du Rempart Sud, on a très peu de réponses à nos questions, sur ce qu'on est venu•e•s voir, explorer et comprendre (à la différence qu'ici on manque cruellement d'une ambiance, de questionnements, de suspense...) Seules les dernières pages vont permettre l'exploration réelle de celle-ci, sauf qu'on dirait un dénouement trop simple, trop rapide, et que les seules choses qui auraient pu être intéressantes de savoir sont passées sous silence. Peut-être le tome suivant éclairera-t-il sur le sujet, mais j'aurais bien du mal à me motiver à continuer sur cette voie.
Arpenter la cité de Dieu me donne l'impression d'errer dans les intestins d'une créature gargantuesque, à la façon dont les tunnels suintent et se tordent. Bien que les maisons soient cultivées à partir de matériaux organiques, cet endroit paraît plus proche de l'intérieur d'un être vivant, d'une créature à mi-chemin entre les règnes végétal et animal tels que nous les entendions sur Terre.
Concernant la technologie, quand même, le roman s'attarde un peu. Implants, imprimantes 3D, maîtrise de l'environnement, recyclage, durabilité, vaisseaux... C'est peut-être l'élément le mieux pensé, le plus développé, et on en mange donc tout le long. Je tiens quand même à dire que j'ai été très séduite par l'aspect écologique, la construction des structures, l'adaptabilité et le système en boucle qui permet d'éviter la surconsommation et donc les déchets et l'exploitation de l'environnement. C'est une partie qui fait appel presque aux cinq sens et ça en fait donc l'élément le plus captivant. Les imprimantes 3D sont la solution de facilité qui permettent de manger, se loger, se vêtir, construire tout et n'importe quoi, à partir d'éléments de base et d'éléments recyclés. Sauf qu'on ne sait pas trop où ils trouvent la nourriture de base, mais bon, on ne va pas chipoter.
« Ce sont des... poissons ? demande Sung-Soo, le doigt pointé vers une des fenêtres.
- Oui. » Je me sens ragaillardie par sa façon de s'émerveiller de choses que je ne remarque plus qu'à peine. « Les algues de l'aquarium synthétisent la lumière du soleil. D'autres maisons la captent à travers leur couche extérieure. (J'agite la main en direction de quelques-unes d'entre elles.) Mais Mack préfère les poissons. »
Quand elle s'ouvre, le spectacle de la porte déstabilise Sung-Soo.
« Est-ce... vivant ? demande-t-il, observant les bords compressés contre l'encadrement.
- En quelque sorte. C'est calqué sur le fonctionnement d'une valve cardiaque. »
Voici un exemple type du roman qui foisonne de très bonnes idées prometteuses mais qui manque complètement d'un liant, d'un développement, et surtout de crédibilité. De ce qui vient en préambule de cette nouvelle colonie sur une planète lointaine, quelques lignes assez vagues : une plante qui dégage une substance qui plonge dans le coma et révèle l'existence d'une Cité de Dieu sur une planète lointaine, planète qui s'avère tout à fait vivable et assez calquée sur la nôtre. L'idée d'un Dieu, d'un Créateur, qui aurait semé des graines un peu partout dans l'Univers, de plusieurs sortes d'humanités... tout ça est si peu abouti ici que ça donne vraiment l'impression d'être un prétexte bâclé (on n'est clairement pas dans la lignée de Philip K. Dick) alors même qu'il est dit que c'est sur cette potentialité que toute une équipe de scientifiques et de spécialistes partent à l'autre bout de l'Univers ! De ce qui se passe dans la colonie enfin : une personne qui disparaît et tout le monde l'attend en pensant qu'elle est encore vivante. Des personnages très peu développés, voire plats, restés en 2D, mis à part la protagoniste principale dont on apprend plein de choses qui ne servent pas forcément le récit, mais elle reste un personnage complexe, intéressant et bien construit, contrairement aux autres (et ce n'est pas tous les jours qu'on se retrouve dans la peau d'une héroïne de couleur à l'âge avancé qui aime les femmes et de qui dépend toute une colonie). Toute la partie sur la relation de Renata aux objets et son gros problème d'accumulation et de déni prend une part très importante du récit, et si au début il est question d'aide et de compassion, ça finit juste en carnage cauchemardesque et en trauma (génial).
Chaque fois que je descends ici, je pense à ma mère. Ça n'a rien de volontaire : je ne suis qu'une simple spectatrice. Comme une inévitable routine, une tâche de fond que mon cerveau aurait établie et qui s'activerait à la satisfaction de certaines variables : si (temps - avant l'aube) + (lieu = sous la colonie) + (action - ouverture de la porte du Broyeur), activer « mauvais souvenir maternel n°345 ».
Bref, je ne vous spoile pas le reste qui constitue l'essentiel du rebondissement dans le livre, pour ne pas gâcher. Je n'ai pas été convaincue, j'ai trouvé la lecture laborieuse, malgré des points intéressants. On subit autant les non-dits que les autres personnages et ça enlève de sa saveur à ce qui aurait pu être une réflexion bien plus aboutie.

par Mrs.Krobb

Planetfall de Emma Newman
Littérature anglaise (traduction par Racquel Jemint)
J'ai lu, février 2017
6 euros

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