Et pourtant, ce texte n'a pas perdu une ride dans le voyage, il est toujours fort d'actualité, et si nous avons depuis été éblouis cent fois par les miracles et les progrès de la technologie astronautique, nous en sommes toujours au même point qu'eux à nous demander s'il y a, s'il peut, s'il pourrait y avoir de la vie en-dehors de notre planète. En tout cas, on est déjà un peu plus loin que lorsqu'on pensait que la Terre était plate et que tout s'agençait autour d'elle, on sait déjà qu'il existe d'autres Soleils que le nôtre et probablement d'autres galaxies aussi, que l'Univers est infini.
Pour situer un peu le contexte, à l'époque nous n'avons pas encore réussi à voyager par les airs. De grandes excursions ont déjà été réalisées par les mers, ce qui fait que nous avons découvert qu'il existe bien d'autres terres et d'autres civilisations par-delà l'horizon. Nous avons vu que les hommes ne sont déjà pas tous pareils et vivent de manière différente alors même qu'ils ont tous les pieds posés sur la même planète. Comme Fontenelle le souligne si bien, nous sommes déjà bien en peine de ne pas voir en l'autre une espèce différente de nous, alors qu'allons-nous nous réjouir de savoir s'il y a de la vie ailleurs ?
S’il se pouvait faire que nous eussions de la raison, et que nous ne fussions pourtant pas hommes, et si d’ailleurs nous habitions la Lune, nous imaginerions-nous bien qu’il y eût ici-bas cette espèce bizarre de créatures qu’on appelle le genre humain ? Pourrions-nous bien nous figurer quelque chose qui eût des passions si folles, et des réflexions si sages ; une durée si courte, et des vues si longues, tant de science sur des choses presque inutiles, et tant d’ignorance sur les plus importantes ; tant d’ardeur pour la liberté, et tant d’inclination à la servitude ; une si forte envie d’être heureux, et une si grande incapacité à l’être ?Ce qui prévaut ici, ce n'est pas tant l'aspect possible ou scientifique ou rationnel d'imaginer de la vie ailleurs, mais plutôt un discours philosophique ponctué de petites anecdotes ou mythologies sur les formes de vie que nous connaissons et notre manière de les appréhender. C'est de découvrir petit à petit l'immensité du cosmos et des possibles, alors même que l'on n'en connait qu'un tout petit bout de museau, et de se dire à la fois que tout est possible, et qu'à la fois on ne le saura probablement jamais car même s'il y avait de la vie ailleurs, il n'est pas certain que nous sachions la reconnaître tant nous sommes persuadé que tout ce qui vit doit ressembler à ce que l'on connait déjà.
Nous voulons juger de tout, et nous sommes toujours dans un mauvais point de vue. Nous voulons juger de nous, nous en sommes trop près ; nous voulons juger des autres, nous en sommes trop loin (...) Il n’y a que la vérité qui persuade, même sans avoir besoin de paraître avec toutes ses preuves. Elle entre si naturellement dans l’esprit que, quand on l’apprend pour la première fois, il semble qu’on ne fasse que s’en souvenir.Non seulement Fontenelle a un raisonnement très intelligent et déjà très visionnaire pour son époque, mais il donne aussi leur place aux femmes dans le monde scientifique et philosophique en prenant bien soin de faire valoir que si elles étaient plus mêlées à ces milieux, elles seraient tout aussi douées et aptes à comprendre, voire plus créatives, que des hommes, qui sont souvent eux trop bornés.
Ils ont bien de l’esprit, répliquai-je, mais ils ne raisonnent jamais (…) et c’est, il me semble, un ordre bien établi que chaque espèce méprise ce qui lui manque.A lire donc pour les passionnés curieux, les futurs cosmonautes, les doux rêveurs, mais déjà assez bons lecteurs car même si c'est un petit livre, il est assez pointu dans son langage. Et j'ajouterai que la présentation au dos ainsi que la préface rendent un très bon hommage à son auteur.
par Mrs.Krobb
Entretiens sur la pluralité des mondes de Bernard Le Bovier de Fontenelle
Littérature française
Editions de l'aube, novembre 2005
7 euros
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