Le livre débute avec le commencement de la Première Guerre mondiale, et le rassemblement de Colette et de ses amies - Annie de Pène, Marguertie Moreno, Musidora - dans son petit chalet parisien. On découvre alors la vie de ces jeunes femmes, toutes artistes des mots ou du corps, qui ont pour la plupart déjà la quarantaine, un métier, un mari, des enfants. Contestées souvent, par leur audace ou leur volonté d'émancipation, elles ne sont pas pour autant des féministes chevronnées - bien au contraire - mais elles tendent à chercher leur place dans un monde masculin.
Couper ses cheveux, c'est à peu près la seule revendication pour Mariette. Ses autres libertés, elle ne peut les rencontrer que dans ses rêves, ou dans les livres qu'elle vient voler dans la bibliothèque de son père - avant que sa mère ne la vende pour éponger les dettes d'un mauvais fils. C'étaient deux petites filles est, comme les Claudine, une fiction aux accents autobiographiques où toutes les situations, toutes les paroles trouvent un écho dans le domaine le plus secret, le plus privé de leur auteur. Annie de Pène a une couleur bien à elle : entre le gris et le rose, le gris l'emporte le plus souvent. Un rude gris, trempé dans un inquiétant crépuscule. Sa fraîcheur discrète, sa naïveté sembleraient mièvres s'il n'y avait sa vision de la vie et, plus particulièrement, de la condition féminine, si sombre en comparaison. Surtout au regard de l’œuvre de Colette, toute lumineuse et qui chante d'un bout à l'autre d'une joie profonde.L'auteure s'attarde donc sur la vie en temps de guerre pour des femmes esseulées qui, bien que savourant une certaine forme de liberté, se rendent compte de la difficulté de vivre dans un monde dépeuplé de ceux qui en avaient les ficelles. Au début, la légèreté, puis la pauvreté, les ruptures de stock, la peur, les couvre-feu, le manque de travail pour les artistes. Et ensuite, les premières victimes de la guerre dont il faut s'occuper, les premiers reportages de guerre - dont Annie de Pène sera la première femme à l'oser -, la peur que la guerre n'en finisse pas.
« Les femmes, c'est pas fait pour être heureuses », dit à Mariette une paysanne normande.
Il n'y a pas que la guerre qui peuple les nuits de cauchemars. Dès la fin de l'été 1918, l'annonce d'un nouveau fléau se répand comme une traînée de poudre. On en dénombre en France les premières victimes, en septembre. Les journaux, soumis à une censure de plus en plus sévère, ne parlent encore que d'une « petite » épidémie et de « mauvaise grippe », alors qu'une hécatombe se prépare. Nommée « grippe espagnole », on ne sait pourquoi, car le virus ne provient pas d'Espagne - mais les Espagnols, qui ne sont pas impliqués dans le conflit mondial, sont les seuls à en publier librement les informations et les statistiques -, cette grippe redoutable, au caractère fulgurant et à la contagion rapide, va entraîner en quelques mois presque autant de morts que la peste au Moyen Âge.Et, pour apporter également une note plus légère et découvrir un peu plus la vie de ces femmes, nous entrons un peu dans leur intimité, leur vie privée et amoureuse, jalonnée de déceptions, d'ennui, d'abandon, mais aussi de délices et de volupté, de chaleur féminine, de mœurs plus légères. On y voit le soutien sans faille que les femmes savent s'apporter, en amour comme en amitié, et l'importance de pouvoir être soi dans un monde qui cloisonne, voire emprisonne, de façon subtile ou carrément outrancière, ces femmes vues comme des enfants, voire des objets.
De l'amour, Colette avait surtout connu les déceptions. Son premier mari la trompait. Georgie Raoul-Duval l'avait trahie, Natalie Barney, délaissée pour d'autres maîtresses. C'est Missy qui lui a révélé la force et la douceur d'une liaison de femmes.Enfin, une grande partie du livre s'attarde sur la vie professionnelle de ces femmes qui sont sorties du foyer pour endosser des rôles auparavant occupés par des hommes, dans la rédaction des journaux, dans la publications de romans, mais aussi pour poser un pied sur scène, dans le théâtre ou le cinéma, que ce soit devant ou derrière la caméra - le courage et la volonté de Musidora, ses apparitions et son œuvre personnelle ont de quoi faire rêver, un premier temps.
Ce ne fut pas un simple compagnonnage. L'association de deux solitudes. Mais un véritable amour, sensuel et tendre, tel que Colette en a rêvé, sans le connaître, jusqu'à trente ans passés. Le mariage la trouvant insatisfaite, c'est dans les bras de Mathilde qu'elle a entrevu la grâce d'une entente parfaite, communion idéale où se rejoignent l'âme et le corps. « Il n'y aura jamais trop de crépuscule ménagé, de silence et de gravité sur une étreinte de femmes, écrit-elle. Deux femmes bien éprises n'évitent pas la volupté, ni une sensualité plus éparse que le spasme, et plus que lui chaude. C'est cette sensualité sans résolution et sans exigences, heureuse du regard échangé, du bras sur l'épaule, émue de l'odeur de blé tiède réfugiée dans une chevelure, ce sont ces délices de la présence constante et de l'habitude qui engendrent et excusent la fidélité. »
Colette, scénariste dans la Flamme cachée, excelle à faire se succéder les scènes, en créant une logique intérieure à l'intrigue, et en privilégiant le dynamisme des tableaux. C'est ce qui a frappé les critiques. Du coup, les sous-titres deviennent moins nécessaires, ou s'en trouvent considérablement allégés. Le public de cette époque était en effet confronté à des textes longs, pénibles à lire, qui fragmentaient l'action. Les critiques de La Flamme cachée vont tous souligner chez Colette un art de la phrase juste et s'extasier sur la concision, la légèreté de ses légendes. Enfin, des phrases qui n'alourdissent pas le spectacle !Dominique Bona retrace donc des parcours de femmes, dans tout ce que ça peut impliquer comme difficultés, petits bonheurs, réussite méritée et complicité, avec la volonté d'en faire un tour assez complet. Le récit d'une époque, d'un milieu, d'une société aujourd'hui révolues, qui nous rappellera à quel point il y a encore de quoi se battre, s'offusquer, mais aussi se réjouir de ce qu'enfin les femmes ont pu commencer à s'émanciper et à devenir ce qu'elles souhaitaient, dans la joie ou la misère, coûte que coûte, et tant pis pour les mauvaises langues - sans aller jusqu'à parler de féminisme, toutefois, dont le concept pouvait faire crisser les dents de ces dernières. Pour ma part, j'ai eu du mal à rentrer totalement dans le récit, et je ne saurais pas trop dire pourquoi - soit parce qu'à vouloir recouvrir tous les thèmes ils ne sont donc que survolés, soit parce que je n'accroche pas bien avec les biographies qui s'attardent trop sur la vie privée, soit parce que ce monde est trop éloigné de moi, soit encore parce que je ne voue pas un culte à Colette. Beaucoup de détails, de descriptions, qui tendent à toucher la corde sensible mais qui ne disent pas grand chose. L'écriture ne m'a pas transcendée, mais je me suis quand même laissée attrapée, par le parfum des fleurs ou l'envie de découvrir des figures de femmes qui ont marqué leur temps.
Bonus : extraits 1, 2, 3, 4, 5, 6
par Mrs.Krobb
Colette et les siennes de Dominique Bona
Littérature française
Le Livre de poche, février 2018
7,70 euros
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