C'est peut-être possible. les neurosciences peuvent y aider, de même qu'un peu de philosophie et beaucoup de poésie à la John Clare. Mais surtout cela implique de descendre dangereusement l'arbre de l'évolution pour arriver dans un terrier à flanc de colline au pays de Galles et sous les rochers d'une rivière du Devon, d'apprendre ce qu'est l'apesanteur, la forme du vent, l'ennui, la sensation d'avoir de la paille dans le nez, ce que sont le frémissement et le craquement des choses qui meurent.
Écrire sur la nature a généralement été le fait d'hommes arpentant le terrain en conquérants, qui décrivent ce qu'ils voient du haut de leur mètre quatre-vingts ou d'autres faisant comme si les animaux portaient des vêtements. Ce livre est une tentative de voir le monde à hauteur de blaireaux gallois, de renards de Londres, de loutres de l'Exmoor, de martinets d'Oxford et de cerfs nobles d'Écosse et du sud-ouest de l'Angleterre, tous dans leur plus simple appareil (...)
Charles Foster est britannique, vétérinaire, ancien chasseur, professeur à Oxford et père de famille. Pour les besoins de son livre, il est sorti de sa zone de confort et a fait fi de tout ce qu'il sait sur les animaux pour aller au plus près d'eux et y aller avec un regard neuf, ou presque. Parfois seul, parfois accompagné, il a marché dans les traces de cinq animaux, et a regroupé ces expériences selon les éléments, réels ou symboliques, rattachés à ceux-ci : la Terre pour le blaireau et le cerf noble, l'Eau pour la loutre, le Feu pour le renard et l'Air pour le martinet.
Nous étions à même de marquer assez précisément nos reptations les yeux bandés à partir du terrier en ne nous référant qu'aux chênes situés à proximité : « À la sortie du tunnel, tourner à droite. À quinze mètres, tabac brut, turc surtout : tout droit. Après trente secondes, mur de citrons verts et vomi devant. Se résout en oranges frottés sur du cuir à gauche et en risotto aux champignons avec trop de parmesan à droite. Se diriger doucement vers le bas de la colline. Selle de cheval écaillée, avec huile de pied de bœuf quelque part sur la saillie. Continuer vers le bas en direction des toiles d'araignée et de la purée d'ail. »Acceptant donc de renoncer au confort et aux modes opératoires propres à l'humain, Charles Foster se creuse des terriers, marche à quatre pattes, nage dans la rivière, se cache sous des cartons en ville, le nez toujours proche du sol, parfois dans son plus simple appareil, et quelques fois sous le regard réprobateur des passants. Il s'agit ici de réveiller les sens souvent endormis chez la plupart d'entre nous qui utilisons surtout la vue et l'ouïe. L'odorat est le sens qui prime le plus dans le livre, ainsi que le goût, avec quelques percées ici et là, bien éloignées des standards habituels.
Les vers de terre ont un goût de bave et de terre. C'est l'aliment local par excellence et, comme diraient les œnologues, ils ont un « terroir » bien à eux. Les vers du Chablis ont une touche minérale longue en bouche, ceux de Picardie une odeur de moisi, un goût d'éclats de bois pourri. Les vers du High Weald, dans le Kent, sont frais et sans complications ; ils se marieraient sans doute bien avec la sole grillée. Ceux des Somerset Levels ont un goût affirmé et démodé de cuir et de bière brune. Alors que les vers des montagnes Noires du pays de Galles sont difficiles à situer et représentaient un vrai défi lors d'une dégustation en aveugle.En résumé, c'est donc principalement un recueil d'expériences personnelles et subjectives, qui fait ressortir le ressenti, les préjugés et les constats de l'auteur. On s'éloigne donc d'un aspect documentaire formel avec données et informations - bien que certaines bien utiles pour placer le contexte soient disséminées tout du long - et on apprendra donc assez peu des animaux cités, si ce n'est un peu de leur mode de vie qu'essayera d'adopter l'auteur. Sans surprise - et il l'accepte et le reconnaît volontiers-, cette tentative de se mettre dans la peau d'un animal a complètement échoué, mais ce n'est pas tant de sa faute personnelle que l'impossibilité pour les humains - citadins et aisés de surcroît - à se débarrasser de leurs préjugés, vécus et façons de vivre, et surtout à ne pas tomber dans l’anthropomorphisme.
Ces quelques jours et nuits passés sous terre m'ont beaucoup appris. Par exemple qu'en dépit de mes prétentions à l'anarchie, je restais un lamentable banlieusard, que je préférais un mur passé à la chaux à une paroi en terre aux changements incessants et fascinants, et les motifs répétitifs d'un papier peint floral à la réalité qu'il représente. En fait, et tel était mon principal souci, je préférais presque toutes les fabrications de l'esprit à la réalité. Je préférais mes idées sur les blaireaux et la nature aux blaireaux réels et à la réalité du monde sauvage. Plus obéissantes et moins complexes, leurs exigences étaient moindres. Et elles ne mettaient pas en évidence mes insuffisances de façon aussi aveuglante. Toutes ces insuffisances étaient les symptômes d'une sale maladie contre laquelle je me croyais immunisé : le colonialisme.Bien que l'idée de base soit intéressante, il est clair dès l'introduction que le livre n'apportera rien, si ce n'est pour la performance. Les quelques réflexions ne sont pas tellement abouties et on n'apprend pas grand chose. J'ai eu du mal à me mettre dans la peau de l'auteur, qui plus est, car je ne l'ai pas trouvé fort sympathique... Probablement que j'ai du mal avec les parties de chasse, les animaux empaillés un peu partout et les références nombreuses à l'alimentation carnée - mais au moins a-t-il le mérite d'essayer de se mettre dans la peau de ceux qu'il a tués, mangés, traqués ? J'ai eu assez de mal à rentrer dans le livre, à commencer et terminer la lecture, bien que certains passages m'aient beaucoup interpelée. Par ailleurs, j'ai beaucoup de mal à comprendre comment un vétérinaire peut haïr ou dénigrer si ouvertement certains animaux et à en parler sans sourciller ? Ce livre qui aurait pu être pour moi un des meilleurs de la sélection 2018 ne m'a pas transcendée, malgré mes efforts et un sujet des plus importants.
C'est par la souplesse de son comportement que le renard m'impressionne le plus. Je peux avoir une appréhension intellectuelle, ou du moins poétique, de la vive sensibilité d'un autre animal. Mais à la fois une vive sensibilité et une grande tolérance au pire, voilà qui dépasse mon entendement. Et il ne s'agit pas d'une simple aptitude à supporter l'insupportable avec réticence pour les besoins de la survie, comme chez le blaireau qui, parce que les habitats convenables sont difficiles à trouver, peut se contenter d'un remblai de chemin de fer - pas vraiment l'idéal. Non, les renards semblent se complaire dans l'extrême. Ils s'épanouissent avec ostentation dans des conditions de vie objectivement lamentables.
Bonus : extraits 1, 2, 3, 4, 5
par Mrs.Krobb
Dans la peau d'une bête de Charles Foster
Essai anglais (traduction par Thierry Piélat)
Le Livre de Poche, mai 2018
7,70 euros
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