À ceux qui n'ont d'autre choix que de préparer leurs enfants à se battre.L'histoire reprend là où nous étions resté•e•s, c'est-à-dire avec Nassun sur la route avec son père, Essun dans la cité-géode de Castrima, peu après son arrivée et Albâtre, dont on vient d'apprendre qu'il se trouve à Castrima, quoique dans un état critique après son violent coup d'éclat. Nous allons également retrouver Schaffa assez rapidement. Mais avant de parler des personnages, parlons des lieux, plantons le décor. Castrima - communauté hors du commun - fonctionne grâce aux orogènes (c'est la première cité où leur utilité ne leur cause pas de tort, bien au contraire) ; il y a donc une union tacite entre fixes et orogènes, qui donne d’abord à douter mais qui amène une situation vraiment soudée, finalement, lorsque l'adversité bat son plein, et la cheffe Ykka se montre très à la hauteur. Le Fulcrum quant à lui n’existe plus dans la cité mère de Lumen, détruite entièrement, mais des satellites du Fulcrum résistent encore, notamment en Antarctique, où l'on apprend que Schaffa a fondé une école nommée Nouvelle Lune. Il prétend aux fixes qui habitent ou passent dans les environs qu’il peut guérir les orogènes (c'est-à-dire: leur supprimer l’orogénie), afin que les « poussières » y soient amenées par les parents soulagés ; on apprend assez vite qu'il les entraîne en vérité. Cependant, il y a une déconstruction de plus en plus forte de ce qui a été imposé au Fulcrum, que ce soit par le biais d’Albâtre, d’Essun ou de Schaffa et Nassun. Cette nouvelle saison est celle qui renouvelle les orogènes, mais aussi les Gardien•ne•s.
« Dix mille ans, peut-être. »Il y a beaucoup d’affrontements dans ce livre, en passant par des confrontations mineures à des conquêtes armées, et le livre termine d’ailleurs dans une grande apothéose. Il y a quelque chose de très politique, d’utopique et de militaire, une organisation qui se crée avec cette communauté. On commence déjà à comprendre la difficulté de survivre en saison, bien que la cité-géode soit bien protégée et que Nassun en soit relativement encore épargnée puisqu’éloignée. Le thème de la pierre est de plus en plus présent, non seulement avec les mangeurs•euses de pierre, mais aussi avec ce que découvre Essun en revoyant Albâtre : qu’un alignement trop puissant aux obélisques risque de transformer l’orogène en pierre et lui interdire d’utiliser ses pouvoirs sous peine de se transmuter complètement. On passe aussi énormément de temps dans Castrima, la cité dans la géode, pour en comprendre mieux le fonctionnement, et, bien sûr, avec les obélisques. Au pouvoir (encore mystérieux) des orogènes, s’ajoute un nouveau principe énergétique : celui de la magie, aussi représentée sous la forme de filaments d’argent - pas du tout évoqués dans le premier tome.
Pour que le rift lumenien arrête de cracher des gaz et que le ciel s'éclaircisse. Une paille, à l'échelle habituelle de la tectonique. Le danger, le vrai, c'est ce que risque de provoquer la cendre. S'il s'en dépose assez sur la surface océanique chaude, la banquise risque de progresser aux pôles. D'où des mers plus salées. Un climat plus sec. Le permafrost. L'extension, l'avancée des glaciers. Sachant que s'il arrive une chose pareille, la région la plus habitable du monde, l'Équatorial, sera toujours brûlante, toujours toxique. En Saison, c'est l'hiver qui tue vraiment. La faim. Le froid. Or le rift déclenchera peut-être une ère hivernale qui durera des millions d'années, une fois le ciel éclairci. Peu importe, d'ailleurs, puisque l'humanité se sera éteinte bien avant. Il ne restera que les obélisques, dérivant au-dessus des plaines blanches infinies, sans personne pour s'interroger sur leur nature ni les ignorer.
Le fonctionnement de l'orogénie n'a jamais été vraiment logique. Ça ne devrait pas fonctionner du tout. La volonté, la concentration et la perception, déplacer des montagnes ? Il n'existe rien d'autre au monde qui fonctionne de cette manière. On n'arrête pas une avalanche par une danse admirable, on ne suscite pas des tempêtes en affinant son ouïe. À un certain niveau, vous avez toujours su que ça existait, que c'était là pour matérialiser votre volonté. Ça... Quoique ça puisse être.Encore une fois, bien que les personnages féminins se taillent la meilleure part du récit, il faut noter la présence de figures masculines, autoritaires, terrifiantes, toujours sur le fil du rasoir : Jija, le père de Nassun, Schaffa le Gardin, mais aussi Mr. Gris, le mangeur de pierre - Hoa et Lerna faisant l’exception. Albâtre reste toujours entre deux : bénéfique pour Essun car il lui apprend beaucoup malgré sa parcimonie apparente, mais aussi impétueux et dangereux pour le monde entier dans sa rage de se venger du sort réservé aux orogènes. Nassun et Essun gagnent en dureté, et deviennent de réels rocs, inébranlables : obstinées, presque même destinées à changer le monde, pour les orogènes, mais aussi pour les autres, les fixes, les gardien•ne•s, les mangeurs•euses de pierre… Le plus gros revirement reste celui de Schaffa, qui passe du Gardien de la mère au Gardien de la fille, et si le premier tome nous avait appris à le détester, le second nous fait voir une version plus torturée, plus nuancée, voire, réellement plus aimante. J'aurais été très dubitative du traitement de certains personnages si N. K. Jemisin n'utilisait pas tous ces rôles, féminins et masculins, d'une façon très intelligente, extrêmement nuancée, forte et servant un but.
Albâtre a l'habitude de lire en vous comme dans un livre.
« La civilisation qui a créé les obélisques avait un nom pour ça, explique-t-il, acquiesçant à la révélation que vous venez d'avoir. Contrairement à nous. Et je ne pense pas que ce soit par hasard. C'est parce que depuis d'innombrables générations, personne ne veut que les orogènes comprennent ce qu'ils font. Tout le monde veut juste qu'ils le fassent. »
« Quant à ceux qui restent, il n'est pas question qu'une partie de cette comm décide qu'une autre partie est dispensable. On ne décide pas de l'humanité de qui que ce soit par un vote. »Au niveau de l’écriture, la temporalité est quasi-linéaire cette fois : on passe d’Essun à Nassun assez régulièrement, ce qui laisse à penser que leur histoire s’aligne, bien qu’elles soient en réalité très éloignées. C'est moins déroutant que dans le premier tome, tant au niveau de la chronologie que parce qu'il n’y a plus vraiment de grands mystères quant à l’identité et l’histoire des personnages, bien qu’on ait encore beaucoup à apprendre de leur passé en tant que civilisation. Néanmoins, il reste beaucoup de questions en suspens et d'autres mystères de nouveau soulevés, et il faudra attendre le dernier tome pour réellement comprendre les enjeux, les civilisations, les saisons... J'ai englouti ce livre en moins de temps qu'il n'en faut pour dire obélisque, réellement happée par l'apparition et l'évolution de Nassun, tremblant pour la cité de cristal. Je suis tombée amoureuse de cet univers, j'ai énormément d'attachement pour ces personnages, de curiosité pour leur histoire, pour le destin de la Terre. Restez proche, le troisième tome arrive très vite !
« Arrête, Albâtre. À t'entendre, on dirait que la planète est réelle. Vivante. Consciente. Mais les histoires du Père Terre n'existent que pour expliquer ce qui ne va pas dans le monde. Comme les sectes bizarres dont on entend parler de temps en temps. Il y en a une dont les membres demandent tous les soirs à un vieillard dans le ciel de veiller sur eux, quand ils vont se coucher. Les gens ont besoin de croire que l'univers ne se limite pas à ce qu'il est. »Bonus : extraits 1, 2, 3, 4, 5, 6
C'est-à-dire de la merde. Vous le savez maintenant, après la mort de deux de vos enfants et la destruction répétée de votre existence. Pourquoi s'imaginer la planète telle une force mauvaise, en quête de vengeance ? C'est juste un caillou. C'est juste la vie : horrible, brève, menant au néant - avec de la chance.
par Mrs.Krobb
La Porte de Cristal - Les livres de la Terre fracturée, t.2 - N. K. Jemisin
Littérature américaine (traduction par Michelle Charrier)
Nouveaux Millénaires (J'ai Lu), avril 2018
23 euros
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