À ceux qui ont survécu : Respirez.Dernière ligne droite - nous retrouvons Essun, dont le processus de pétrification a déjà commencé, affaiblie et portée en brancard, alors que toute la communauté de Castrima est en route après la destruction de la cité-géode. De leur côté, Nassun et Schaffa détruisent Nouvelle Lune et libèrent les enfants orogènes, pour poursuivre leur route vers l'autre côté du monde. Mère et fille sont confrontées à ces questions : Faut-il sauver le monde tel qu'il est devenu ou accepter la destruction totale ? La fin des Saisons pourrait-elle être la fin des souffrances, sachant que ces souffrances ont commencé avant même les saisons ? Quel est le risque qui vaut le plus la peine d'être pris ? Rédemption de l'humanité ou vengeance du Père Terre ? Faire revenir la Lune ou en finir ? Et, aussi, mère et filles vont-elles enfin être réunies ?
Voilà. Encore une fois. Bien.
Vous êtes doués. Et même si vous ne l'êtes pas, vous êtes vivants. C'est une victoire.
Il faut que quelqu'un souffre pour permettre aux autres de vivre dans le luxe. D'après Syl Anagist, mieux vaut que ce soit la Terre. Mieux vaut réduire en esclavage une énorme chose inanimée qui ne connaît pas la souffrance et ne risque pas de protester. Mieux vaut la Géoarcanité. Toutefois, le raisonnement ne tient pas, car, au bout du compte, la cité n'est pas viable. C'est un parasite, dont l'appétit de magie ne fait que croître à chaque goutte absorbée. Le noyau de la Terre a ses limites. Il finira par s'épuiser, lui aussi, même s'il y faut cinquante mille ans. Et tout mourra.La ligne de temps se fractionne à nouveau : le présent avec Nassun et Essun, encore, mais aussi le passé, raconté par Hoa, le mangeur de pierre, tel que vécu par lui et ses semblables. Où l'on apprend ce qu'iels sont, le but qu'iels servent, où l'on comprend les obélisques, la Porte de Cristal, le début des Saisons, l'exil de la Lune hors de son orbite normal. Où l'on comprend la différence entre magie et orogénie, où l'on comprend aussi ce que sont les Gardien•ne•s. Très intense, donc, car toutes les réponses sont données. Le rapport à la communauté, à la famille, et même à la maternité, le rapport complexe entre ces trois populations liées très étroitement. Il y a quelque chose d'à la fois très intime et très collectif, qui tient à la fois d'une oppression brutale et d'un amour plus puissant que tout. Il y a aussi la Terre, que l'on voit entièrement vivante dans ce tome.
Nous glorifions par notre seule existence le monde qui nous a fabriqués, de même que n'importe quel sceptre, statue ou objet précieux. Cela ne nous dérange en rien, car nos opinions et notre vécu ont été façonnés avec autant de soin que nous. Kelenli est là pour nous donner le sens de la communauté que nous formons, mais nous ne le comprenons pas. Ce concept nous a été jusqu'ici interdit, mais nous ne comprenons pas davantage pourquoi. Notre ignorance ne durera pas. Nous finirons par comprendre que les membres d'une communauté, les gens, ne sauraient être des possessions. Et, parce que nous sommes l'un et l'autre et qu'il ne devrait pas en être ainsi, un concept nouveau se dessinera en nous, bien que nous n'en ayons jamais entendu parler, car il est interdit aux contrôleurs de seulement formuler son nom en notre présence. Révolution.Les indices disséminés par N. K. Jemisin ici donnent à penser qu'il pourrait s'agir de notre Terre, avec sa Lune, son Soleil, et que tout ce qui s'y passe, dans notre futur à nous, vient d'une utilisation déraisonnée de ses ressources, des énergies fossiles, voire même nucléaires, d'une oppression systématique des civilisations, d'un désir de pouvoir total et de contrôle sur l'environnement... Bref, il y a tellement de thématiques très pertinentes concernant notre monde, et pourtant ce n'est que suggéré, libre à l'interprétation. On pourrait en dire que c'est une trilogie très écologique, qui appelle à rétablir un contact fort à la planète, à la respecter, à la comprendre, à repartir sur des bases à échelle humaine, à fonder de petites communautés fortes et stables et autonomes, qui peuvent s'en sortir même en cas de catastrophe. Mais il y a aussi quelque chose qui relève de la perception de l'énergie, de la pratique magique.
Exploiter la magie leur a permis de créer des merveilles inimaginables, mais ils en ont ensuite voulu davantage que ne pouvaient en produire leurs vies et jusqu'aux vies et aux morts qui s'étaient succédé des millénaires durant à la surface de la Terre. Alors, quand ils ont vu que, juste sous cette surface, le monde débordait de magie qu'il leur suffisait de prendre... Peut-être la pensée ne leur est-elle jamais venue que toute cette magie - toute cette vie - pouvait être un signe de... conscience. Il ne faut pas oublier que la Terre ne s'exprime pas en mots.J'ai trouvé cette conclusion très forte, et la fin du livre est vraiment intense, puissante, tout en action, en résolution, elle prend, elle retourne, elle installe une tension proche de l'explosion. Je suis contente d'avoir eu la chance de pouvoir lire les trois tomes d'un coup, parce que ça m'a permis d'être complètement dans l'histoire, d'être ancrée dans cet univers très riche, de ne jamais perdre pied, et de me laisser cristalliser entièrement. C'est véritablement une des meilleures trilogies que j'ai lues, et je ne saurai que trop remercier les personnes qui en parlent et qui la conseillent pour me l'avoir fait connaître, et la recommander vivement à mon tour, de tout mon cœur. C'est cruel mais magnifique, brutal dans son approche de la réalité mais tellement exact, c'est aussi bienveillant, courageux, et révolté, solide comme un diamant mais aussi fragile comme du talc. Par ailleurs, j'ai été très touchée par le mot de fin de l'autrice, qui remet l'histoire dans un contexte très réel, très personnel, et qui lui donne beaucoup d'ampleur, notamment dans le rapport mère-fille. Je rajoute également un bon point pour les couvertures des trois livres que j'ai trouvées très belles, ainsi que pour la façon de l'autrice de ne pas aborder que des relations exclusives et hétérocentrées, et je chéris déjà le moment où je relirai ces livres, parce qu'ils m'ont tant touchée, en plein cœur, en plein quartz.
Ils ont peur parce que nous existons, explique-t-elle. Nous n'avons rien fait qui justifie cette peur, à part exister. Nous ne pouvons rien faire qui nous vaille leur approbation, à part cesser d'exister. Alors soit nous mourons, comme ils le veulent, soit nous rions de leur lâcheté, et nous vivons notre vie.Bonus : extraits 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14
par Mrs.Krobb
Les cieux pétrifiés - Les livres de la Terre fracturée, t.3 de N. K. Jemisin
Littérature américaine (traduction par Michelle Charrier)
Nouveaux Millénaires (J'ai Lu), septembre 2018
23 euros
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