À une vingtaine de kilomètres au nord-ouest de Nantes, près du bourg de Notre-Dame-des-Landes, un territoire de bocage vit une histoire bien particulière. Sur plus de 1 600 hectares, une zone d'aménagement différé (ZAD) en vue de la construction d'un aéroport est devenue zone à défendre (zad). Entre les hameaux se succèdent des paysages singuliers : tags le long des routes, champs de sarrasin, prairies, forêts claires, amas de pneus, cabanes, potagers, serres, belles longères couvertes d'ardoises, carcasses de voiture, phare improbable surplombant une bibliothèque à l'allure de bateau. Commencé dans les années 1970, sur un terreau de lutte encore vivace, le combat contre l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes a duré plus de quarante ans. Il est de ceux qui inspirent et méritent d'être contés.L'ouvrage retrace l'historique de la ZAD de NDDL en huit chapitres. Des années 70 au début des années 2000, où le projet d'aéroport a commencé à former la ZAD mais sans aboutir, puis des années 2000 à 2012, où le projet est remis sur le tapis mais fait largement controverse (notamment pour des soucis écologiques notables, dont la destruction d'une vraie biodiversité), et plus précisément de 2007 à 2012 ou la ZAD devient "zone à défendre. Fin 2012, les premières tentatives d'expulsion commencent, et frappent fort, mais sans réussir à déloger les occupant•es ni à effrayer suffisamment pour enrayer le mouvement. Jusqu'en 2013, la ZAD est sous occupation militaire, puis, jusqu'en 2018, la ZAD devient une sorte d'utopie autonome, avant une seconde vague d'expulsion, qui marque néanmoins la fin du projet d'aéroport.
Quelques extraits concernant des périodes et évènements spécifiques : 1, 2, 3, 4, 5, 6
Le jeudi 12 avril [2018], la préfecture annonce officiellement la fin de l'opération d'expulsion. Pour les gendarmes, reste l'objectif d'empêcher toute reconstruction et de garder les routes circulantes : autant dire que les combats ne vont pas cesser pendant plusieurs jours, même si leur niveau d'intensité va décroissant. En quelques jours, 11 000 grenades ont été tirées, plus de 200 personnes blessées. La plupart des lieux de vie, concentrés à l'est de l'ancienne route des chicanes ont été rasés. Quelques cabanes vont encore être détruites, au mépris des déclarations faites (...) Le dimanche 15 avril, un appel à réoccupation réunit entre 5 000 et 10 000 personnes qui parviennent à déjouer les barrages policiers pour se retrouver à Bellevue.Au-delà de l'aspect lutte contre un projet d'État, la ZAD est avant tout un territoire, avec ses spécificités, ses habitant•es historiques, son écosystème... et, bientôt, les occupant•es, qui vont se mêler à la population locale, qui vont s'approprier le terrain et aider les propriétaires à garder leurs maisons et leurs terres. Une zone de partage, d'apprentissage, de "métissage", de collectivité. De nombreuses nouvelles structures vont s'ériger, que ce soit des cabanes de fortune, des nouveaux hangars, des champs cultivés, des maisons laissées vides puis squattées. Il est beaucoup question d'ailleurs de la vie en squat, de ses particularités, de ses forces et de ses faiblesses, et de la façon dont cela apporte à la vie en commun, au partage des valeurs et au lutter ensemble contre un système (voir extraits 1 et 2).
Cette situation rapproche la zad par certains aspects d'une TAZ (Temporary Autonomous Zone ou Zone autonome temporaire) - concept développé en 1990 par Hakim Bey, qui incite chacun•e à créer des espaces de liberté dans les fissures et les failles de notre monde, ici et dès que possible. L'expérience de zone autonome de la zad, vouée à rester une aventure éphémère, s'est enracinée dans dix années d'occupation. Dans cet espace de liberté, les idéaux des un•es et des autres se traduisent en actes, déclinés en séries de gestes au quotidien. Les occupant•es ont souvent mis leur ancienne vie de côté pour venir vivre à la zad, sont sorti•es de leur zone de confort et ont trouvé des allié•es politiques hors de leurs réseaux habituels : agriculteur•ices, riverain•es, habitant•es des environs et de la métropole voisine.On y découvre donc une population très diverse, mais qui n'hésite pas à se serrer les coudes, et aussi à en découdre quand il le faut, qui vit le plus possible en autarcie, et qui tente de se libérer du système. Production alimentaire, élevage, menuiserie, construction, électricité et eau, récup', et aussi mise en place de marchés à prix libres. Au-delà de ça, c'est toute une organisation sociale à faire tourner, mais aussi un fort aspect culturel. Entre la bibliothèque, la radio, les concerts, les évènements de partage de luttes, les ateliers, les conférences, les festivals... Il y a de quoi s'enrichir à tous les niveaux, et ce sans parler d'argent. Quelques extraits sur les différents aspects de l'organisation de la vie en commun et de la vie culturelle : 1, 2, 3, 4, 5.
Dans les fermes occupées et toutes les cabanes construites, des modes d'habiter, de travailler, de penser ensemble se sont inventés librement. Une économie s'est élaborée avec ses différents types d'échanges, la mise en commun permanente du matériel et des ressources et ce qui a été appelé le « non-marché », où les un•es et les autres peuvent se procurer à prix libre les productions locales. Une gestion du politique - au sens de l'organisation de la cité - est née, avec ses assemblées, ses prises de décision horizontales, sans vote et sans hiérarchie. Des savoir-faire se transmettent et qui veut apprend à fabriquer, réparer ou construire ce qui s'achète dans la grande distribution ailleurs. Ici, les habitant•es cherchent en conscience à penser un autre rapport, plus responsable, à leur environnement, mettent en place des chantiers collectifs pour entretenir haies, routes, chemins et forêts.Pour qui souhaite approfondir le sujet de la ZAD de NDDL qui a beaucoup retenti ces dernières années, ou pour qui souhaite mieux comprendre comment peut s'organiser la vie en-dehors du système, comment lutter efficacement, comment réfléchir l'environnement, l'habitat et la communauté, cet ouvrage est très complet et simple à assimiler. Écrit de façon collective, avec notamment deux personnes habitant à la zad depuis plusieurs années et deux soutiens réguliers, il se veut proche des habitant•es et des occupant•es, et donc proche de la lutte. Écrit en langage inclusif, ce qui est un bon point, avec une couverture très agréable au toucher, de chouettes illustrations et de nombreuses photos en noir et blanc pour se rendre compte de la vie du lieu. Une chronologie vous attend en fin d'ouvrage pour mieux vous repérer, ainsi qu'une carte du territoire à chaque chapitre pour comprendre comment s'organise la zad entre occupation et expulsion. C'est un livre qui appelle à la résistance, et en ces temps de politique plus que pourrie, c'est donc un livre d'utilité publique.
Habiter revient à éprouver sa propre appartenance à un territoire que l'on doit défendre envers et contre tout. L'étymologie du mot « habiter » vient d'ailleurs du latin « habitare », dérivé de « habere » qui signifie « avoir ». Habiter implique donc la notion d'appartenance - au sens où le lieu appartient à celui ou celle qui l'habite. La pratique des occupant•es de la zad va dans ce sens : elles et ils considèrent que c'est l'usage du lieu qui donne le droit de l'occuper. En même temps, à travers des slogans comme « Ce n'est pas la nature que nous défendons, nous sommes la nature qui se défend », ils et elles renversent cette conception : l'habitant•e appartient davantage au territoire que ce dernier ne lui appartient. Habiter ne correspond donc pas uniquement au lien que l'on entretient avec sa maison. D'ailleurs, le terme renvoie aussi à une autre racine latine - « habitus » - qui signifie habitude ou manière d'être. Chez les occupant•es, habiter est une façon d'être engagé•es dans leur vie.
par Mrs.Krobb
"Habiter en lutte : ZAD de Notre-Dame-des-Landes - Quarante ans de résistance" du collectif comm'un
Littérature française
le passager clandestin, mars 2019
20 euros
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