mardi 27 août 2019

"Les Sorcières de la République" - Chloé Delaume

Oui, des crimes ont été commis, des dommages si irréparables que nos aînés ont préféré assassiner l'histoire de France et mettre le feu à son cadavre plutôt que de le cacher dans le placard, tant ils en redoutaient le fantôme. Ne pas la regarder en face, cette histoire. La soustraire des mémoires pour ne pas l'imposer aux enfants de leurs enfants. La vérité, ce qu'il s'est passé. Le Parti du Cercle, la Sibylle, Élisabeth Ambrose, le second tour des présidentielles, les archives sont intactes, jusqu'à l'investiture. mai 2017-juin 2020. Ce que couvre le Grand Blanc, tu le sais, c'est ton sang. Ton sang, peuple de France. Celui de tes aînés, celui que tu as versé, celui qui a coulé et abreuvé ta terre.
Nous sommes en France, en 2062, et nous assistons à un Direct Live sur plusieurs jours pour le Procès de la Sibylle, qui doit lever le voile sur la vérité du Grand Blanc, une amnésie collective qui a duré 3 ans (2017-2020), pendant lequel le Parti du Cercle aura été premier parti féminin et féministe au pouvoir - et surtout, le premier parti de déesses venues régner sur Terre (depuis des millénaires). Le Grand Blanc fait référence à "un événement qui s’est passé en Grèce, vers 3080 avant J.-C. Il y a eu une guerre civile tellement affreuse que le nouveau gouvernement a interdit aux gens d’y faire allusion. Donc la génération suivante s’est retrouvée avec ce grand blanc… J’avais envie de travailler sur cette idée." (interview de l'autrice sur La Règle du Jeu)
Sur le nombre de kits vendus, des achats impulsifs, de la curiosité, du buzz, un must have pour les it-girls, le Parti du Cercle a été une tendance avant d'être un mouvement. Combien ont été offerts pour être ouverts en ricanant, la magie du second degré, instant de grâce, complicité, se dévoiler, faire de l'esprit, les questionnaires savaient mettre de l'ambiance et les objets étaient amusants. Et pourtant, au détour des rires, parmi les commentaires, le sort pour que la cible se cogne le petit orteil contre les angles, par exemples, elles disaient : « T'imagines si ça marche ahaha mais c'est pas se cogner qu'il mériterait ce porc, après ce qu'il t'a fait. »
J'ai beaucoup aimé l'idée générale du livre, le rapport à la mythologie et à la religion, d'un point de vue actuel, avec des remises au goût du jour (bien que ce soit parfois un poil trop exagéré, et rarement dans le bon sens), le rapport aussi à la magie et à la sorcellerie, la façon dont ça pourrait servir à changer le monde (là encore, je pense que ça aurait pu être mieux exploité). J'ai aimé l'impulsion féministe, les déesses, le Parti du Cercle, au service des femmes, pour sauver l'humanité.
« Dans le monde en bas, en ce moment : Une femme sur cinq est victime de viol ou de tentative de viol au cours de sa vie // En moyenne, 30% des femmes qui ont eu des relations de couple signalent avoir subi une forme quelconque de violence physique ou sexuelle de la part de leur partenaire // La moitié des femmes victimes d'homicides sont tuées par leur conjoint, leur ex-conjoint ou leur compagnon // Une femme sur trois a déjà été victime des violences // Le risque de viol et de violence conjugale représente un risque plus grand, pour une femme âgée de 15 à 44 ans, que le cancer, les accidents de la route, la guerre et le paludisme réunis //. »
Ce qui m'a déçue, c'est le côté un peu dépravé, désabusé, la façon dont ça aurait pu donner beaucoup de force au mouvement féministe et où finalement on a l'impression ici que ce sont les femmes qui ont fait n'importe quoi, et qu'encore une fois ce sont leurs actes qu'on efface de l'Histoire. Et, surtout, qu'on se rende compte que tout ça n'a servi à rien, et que le monde est toujours plus capitaliste, qu'il courre toujours autant à sa perte. Alors, quel était le but, déjà, si ce n'est de dire que l'humanité, le monde, la société, ne peuvent pas être sauvés et méritent juste une finalité rapide (ok, certes) ? J'ai aussi pas mal tiqué sur le fait que ça reste énormément centré sur des standards esthétiques, intellectuels et psychiques très très normés, et que le reste est souvent moqué (notamment un recours à un lexique un peu psychophobe sur les bords quand le Grand Blanc est évoqué).
Paris n'était pas piétonnier, il y avait déjà le tourisme, mais des gens y vivaient encore, oui, des gens y vivaient vraiment. On ne les payait pas pour être parisiens, ce n'était pas un métier, les fenêtres et les terrasses n'étaient pas des vitrines, les marques ne prenaient pas en charge le stylisme des riverains, personne n'avait de contrat lié à ses déplacements. Vous savez, à l'époque, être verbalisé pour surcharge pondérale, excès de sébum ou même une banale fashion agression, ça n'était pas imaginable.
Voilà, de bonnes réflexions de base, une volonté de changer les choses, de repenser une spiritualité 2.0, de bousculer une République qui s'enfonce toujours plus dans la boue, de repenser le monde pour éviter des catastrophes plus grandes encore, une volonté de féminiser le gouvernement, de remettre en question le capitalisme... Mais, au final, sans plus. Les dieux et déesses en prennent pour leur grade, autant que l'humanité, il n'y a plus ici de grandeur ni de grandiose, juste une décadence sûre et certaine. C'était intéressant à lire - d'autant plus que l'autrice joue avec différents styles narratifs -, mais le dénouement se passe un peu vite et je trouve que le livre n'a pas eu la force qu'il aurait pu avoir (que j'en attendais). Au regard de la politique française actuelle, ça aurait été d'autant plus fort que ce livre ait été écrit quelques années après, et en tout cas, on retrouve dans le gouvernement et le monde de 2062 ce qui commence déjà ici et maintenant, avec le gouvernement Macron (mais ça aurait été un peu compliqué de programmer ça, c'était juste une réflexion comme ça). Bref, à lire plus comme un livre parodique et caricatural que comme un livre particulièrement militant ou féministe (en considérant que le soulèvement de la République par le Parti des déesses pour les femmes a duré 3 ans, pour terminer sur un Grand Blanc et pour que soixante ans plus tard le monde ait turbo-capitalisé : un peu comme si le militantisme féministe ne servait à rien au final - de destructif oui, mais pas de constructif). Je tenterai bientôt Mes bien chères soeurs, qui sera peut-être plus dans le goût de ce que j'attendais de celui-ci.
Conformément au dispositif constitutionnel, son remplaçant sera tiré au sort dans les 7 jours ouvrables. Vous rêvez, vous aussi, de devenir Président, de diriger la France, de prendre des décisions importantes en vous faisant photographier ? Pourquoi ne pas tenter votre chance ? Pour cela, c'est tellement facile, il vous suffit de vous inscrire et de dépasser les 5 000 J'aime pour accéder au premier tour.
Bonus : extraits 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10

par Mrs.Krobb

Les Sorcières de la République de Chloé Delaume
Littérature française
Points, mars 2019
7,80 euros

1 commentaire:

  1. Bonjour
    Svp, je suis à la recherche d'un thème de mémoire et je pense à travailler sur l'évolution deu féminise de Simone de Beauvoir jusqu'à Chloé Delaume. Pourriez vous m'aider là dessus? Quels romans des deux écrivaines seraient les plus convenables ? Merci

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