mardi 10 septembre 2019

"BIOS" - Robert Charles Wilson

Isis et la douzaine de mondes biologiquement actifs détectés par l'interféromètre planétaire avaient démontré que la vie n'était pas vraiment une nouveauté pour l'Univers. Elle était, sinon inéluctable, du moins assez répandue dans la galaxie. Mais l'humanité avait eu beau écouter de toutes ses oreilles, elle n'avait jamais reçu le moindre signal intelligible, la moindre preuve de voyages spatiaux non humains, le moindre indice d'une civilisation intersidérale.
Lors du XXIIe siècle, l'humanité a déjà commencé le processus de colonisation de planètes éloignées, d'abord Mars, puis les colonies Kuiper, et maintenant... Isis. Le problème c'est qu'Isis est totalement non viable pour l'humain, et même les matériaux terrestres montrent des signes de faiblesse contre la biosphère isienne qui semble attaquer ces corps étrangers. Sa biosphère ressemble assez à celle que l'on connaît, si ce n'est qu'elle est aussi tout à fait radicalement différente. Évidemment, derrière un tel déploiement de technologies, de spécialistes et de matériel complexe, se trouvent les Trusts. Les Familles. Des riches terriens surpuissants, qui se font la compétition. L'objet de la compétition ici, est Zoé, un bébé éprouvette/clone devenu jeune femme, avec une combinaison toute nouvelle. Son rôle sera d'être la première femme à explorer Isis en personne, sans le faire à distance, par l'intermédiaire de drones et de robots.
« Le thermostat de l'âme », ainsi son professeur à Calcutta avait-il surnommé ce biorégulateur bien ordinaire, cette glande artificielle chargée d'égaliser les humeurs, de soutenir la vigilance et de supprimer la fatigue. Le régulateur surveillait en permanence la composition du sang et libérait des doses autosynthétisées de neurotransmetteurs et d'inhibiteurs. Anna Chopra elle-même en portait un, à l'instar de presque tous les techniciens et cadres terriens.
Robert Charles Wilson introduit beaucoup de choses dans ce roman : l'intouchabilité des puissances riches terrestres, qui font la course et n'hésitent pas à mettre un grand nombre de vies humaines en jeu ; les "thymostats", dont sont dotés beaucoup de terriens, qui les aide à survivre bien mieux que les autres, avec un système immunitaire boosté, et qui régulent aussi leurs humeurs, les sentiments et les émotions, le "soi" ; les différentes nouvelles races humaines par le biais notamment des kuiper ; la vie sur d'autres planètes, et comment elle pourrait être, comment elle pourrait interagir avec nous, comment se manifesteraient d'autres formes de conscience... Bien que le roman soit assez court en regard d'autres textes plus connus qu'il a produits, l'auteur réussit à introduire une histoire assez riche en réflexions, à la fois sur l'humain, sur la colonisation de l'espace, et sur d'autres formes de vie.
Impossible, bien entendu, de lire la moindre émotion sur ce visage, malgré tous les efforts de l'esprit humain. Nous nous projetons sur les autres animaux, se dit Zoé, nous croyons lire des expressions sur le visage des chats et des chiens... mais le mineur restait aussi impénétrable qu'un homard. Les yeux, se dit-elle. Toute créature plus grosse qu'un scarabée s'exprime d'abord par ses yeux, mais ceux du mineur n'étaient que de simples ovales noirs dans un lit de chair anguleuse. Des bulles d'encre. Des fenêtres à travers lesquelles une espèce de quasi-conscience l'observait avec calme.
BIOS est un roman intéressant en ce qui concerne l'approche d'une nouvelle forme de vie, hostile par ailleurs, mais qui semble apparemment inoffensive et même "arriérée" (pas de gros monstres, pas d'aliens, même s'il y a bien des formes de vie animaloïde). On a donc une sorte d'attraction/répulsion assez intense en ce qui concerne ce nouvel environnement, qu'on parcourt à la fois avec délice et crainte mortelle. Ce qui nous permet de nous dire que s'il existe une vie ailleurs, elle n'est probablement pas là pour être colonisée par l'humain, et, peut-être même, s'il existe une vie ailleurs - ou plusieurs -, elle pourrait dépasser tellement l'humain que ce dernier serait le maillon faible de la grande chaîne de la vie. C'est également une réflexion sur le transhumanisme et sur la conscience à un niveau plus métaphysique. Beaucoup d'action, avec des situations extrêmes et haletantes, et un dénouement que j'ai trouvé un peu trop rapide à mon goût. Je sais que l'auteur aime installer des univers, décors et personnages complexes avant d'entrer dans le coeur du sujet et que les dénouements se font souvent vraiment tout à la fin, mais ici ça m'a laissé un goût de pas assez - bien que j'ai trouvé l'histoire super. Mon seul bémol est le traitement de Zoé, bien que tout son parcours de vie explique assez bien son rôle dans l'histoire, ça fait encore un personnage féminin qui doit subir plein d'horreurs pour avoir un premier rôle, et servir d'expérimentation à tout un tas de gens (femme-objet), et ne pas savoir au final qui elle est, qui elle a envie d'être, ce qu'elle veut réellement faire (même si la réflexion et transformation vient en cours de roman).
Certaines nuits, elle s'imaginait que les étoiles pouvaient parler. Elle s'imaginait qu'en écoutant avec assez d'attention, elle entendrait leurs voix parler une langue aussi tranchante, aussi dure et colorée que des pierres précieuses. Elle attendit patiemment d'entendre ce langage éternel et de le comprendre enfin.
Bonus : extraits 1, 2, 3, 4, 5, 6

par Mrs.Krobb

BIOS de Robert Charles Wilson
Littérature américaine (traduction par Gilles Goulet)
ActuSF, mai 2019 (original : 1999)
18,90 euros

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