Ophélie se cogna le nez contre le ciel. Elle s'était penchée par-dessus le parapet pour chercher Farouk, mais la mer n'était rien de plus qu'un mur. Une immense fresque mouvante où le bruit des vagues était aussi artificiel que l'odeur de sable et la ligne d'horizon. Ophélie remit ses lunettes en place et observa le paysage autour d'elle. Presque tout était faux ici : les palmiers, les fontaines, la mer, le soleil, le ciel et la chaleur ambiante. Les palaces eux-mêmes n'étaient probablement que des façades en deux dimensions. Des illusions. À quoi s'attendre d'autre quand on se trouvait au cinquième étage d'une tour, quand cette tour surplombait une ville et quand cette ville gravitait au-dessus d'une arche polaire dont la température actuelle ne dépassait pas les moins quinze degrés ? Les gens d'ici avaient beau déformer l'espace et coller des illusions dans chaque coin, il y avait quand même des limites à leur créativité.Tandis qu'Ophélie est couronnée vice-conteuse à la cour de l'Esprit de Famille du Pôle, qui souhaite également qu'elle lui dévoile le contenu de son Livre avec ses mains de liseuse, de drôles de disparitions commencent à avoir lieu dans la forteresse jusqu'ici imprenable gardée par Archibald, l'ambassadeur du Pôle. Au même moment, Ophélie elle-même reçoit des lettres de menaces concernant son mariage à venir avec l'Intendant, Bérénice est sur le point d'accoucher, la famille d'Anima sur le point de débarquer... sans compter le mystérieux chevalier, ou encore les récentes révelations sur les Doyennes.
« Nous vivons dans une drolle d'affaire, t'sais », avait dit le grand-oncle.Si le premier livre était au début parfois lent, poussif, laborieux, et si les personnages nous échappaient vraiment, le tome 2 consolide l'univers des arches, l'histoire de Dieu et des Esprits de famille, et rajoute un peu de personnalité aux protagonistes. Il se passe vraiment beaucoup de choses ici, et l'intrigue se met bien en place. On avait déjà appris à ne faire confiance à personne dans ce monde d'illusions, mais vous serez prévenus : c'est de pire en pire. J'ai beaucoup apprécié l'affirmation grandissante du personnage d'Ophélie, et de comprendre enfin un peu plus ce qui animait sa nouvelle famille, leur histoire et leurs buts. Chaque personnage est comme une pièce à double face et au lieu de la binarité du premier tome, on retrouve ici beaucoup de nuances et de contexte. Le Pôle n'en finit pas non plus de nous étonner, de même que le bouclier psychique imprenable de Farouk finit par se fissurer un peu...
Alors que leur conversation lui revenait soudain en mémoire, Ophélie se sentit emportée dans un tourbillon de questions. La Déchirure du monde était-elle réellement finie ? Qu'est-ce qui l'avait seulement provoquée ? L'une de ces guerres dont les Doyennes ne voulaient surtout plus entendre parler ? Les esprits de famille savaient-ils quelque chose d'important à ce sujet avant de l'avoir oublié ? Leurs Livres détenaient-ils une information sur ce qui s'était passé ? Et si c'était cette vérité-là qui dérangeait certaines personnes ?
Un matin, Ophélie fut couverte de pustules de la tête aux pieds. Le lendemain, elle se mit à dégager une abominable odeur de fumier. Le surlendemain, elle ne pouvait plus faire un geste sans émettre de tonitruants bruits de flatulence. Ce n'était heureusement que des illusions éphémères qu'on lui jetait dès qu'elle avait le dos tourné et qui se dissipaient en quelques heures, mais l'inventivité dont ces courtisanes faisaient preuve pour l'humilier était sans limites.Un tome à la fois plus clair et plus obscur, qui se penche aussi sur toutes les strates du Pôle (et de sa société très variée) et nous offre plus de vérité pour moins d'illusions - à moins que ce ne soit encore l'inverse ? La réflexion aussi sur le passé, l'Histoire, son oubli, sa réécriture, sa censure, est aussi intéressante et bien amenée, notamment parce qu'il semble clair que le passé des arches, c'est nous (bien que le décor ne soit jamais futuriste et ait l'air d'ailleurs plutôt retro par rapport à nous). En tout cas, c'est ce livre-ci qui m'a vraiment convaincue de continuer, et sa fin - sans spoiler - m'a vraiment donné soif de réponses : on pourra en dire ce qu'on veut, mais Christelle Dabos sait installer des tensions, des intrigues et des histoires qui tiennent en haleine. Aussi, on peut dire que j'ai fini par m'attacher - enfin - aux personnages, même si la relation entre eux est parfois caricaturale presque à l'excès. Tout est d'ailleurs un peu poussé à l'extrême, pour marquer de forts contrastes, et ça marche - même si ça peut être un peu écœurant parfois.
Les esprits de famille étaient impressionnants par nature. Chaque arche, à une exception près, possédait le sien Puissants et immortels, ils étaient les racines du grand arbre généalogique universel, les parents communs à toutes les grandes lignées. (...) La religion et la théologie étaient un folklore désuet sur Anima, comme sur beaucoup d'arches où les esprits de famille incarnaient l'absolu à eux seuls.Ce tome et le premier tome se passent l'un à la suite de l'autre exactement, donc je conseille - maintenant que la saga est finie - de lire ces deux-là l'un à la suite de l'autre si possible, pour ne rien en perdre. La fin du tome 2 fait toutefois une sorte de fracture, avant d'entamer la suite des aventures.
Il était bien capable d'attendre le matin des noces pour surgir devant l'autel, une pile de dossiers sous chaque bras.Bonus : extraits 1, 2, 3, 4, 5
par Mrs.Krobb
La Passe-miroir, t.2 : Les disparus du Clairdelune de Christelle Dabos
Littérature franco-belge
Gallimard Jeunesse, octobre 2015
19 euros
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