mardi 25 février 2020

"Tu m'as donné de la crasse, et j'en ai fait de l'or" - Pacôme Thiellement

Elle me dit : les prêta sont des esprits. Ce sont les esprits qui furent naguère des hommes si avides de possessions matérielles ou spirituelles que, une fois morts, ils continuent à souffrir de leurs désirs inassouvis tels que la gourmandise, l'obsession sexuelle, la richesse, l'ambition... Si l'on a couru après les possessions, matérielles ou symboliques, toute sa vie, si l'on n'a pas accompli le grand détachement, on ne meurt pas. On meurt mais on n'est pas mort pour autant. On erre sur la terre, affamé, désœuvré, incapable de nourrir notre âme insatiable.
N'ayant jamais lu d'autre lire de l'auteur, je pourrai difficilement les comparer ensemble, néanmoins il semblerait que ce soit ici son livre le plus personnel - quand les autres sont plus centrés sur la culture cinématographique, musicale ou spirituelle. Je connaissais Pacôme Thiellement pour ses nombreuses interventions dans des émissions consacrées à Philip K. Dick, et je me disais qu'il était peut-être temps de découvrir ce qu'il faisait, lui. Il s'agit donc ici d'un livre à tendance autobiographique, qui retrace certaines périodes de vie, certains souvenirs - généralement de mauvaises périodes et des souvenirs désagréables, des deuils douloureux - et les utilise pour les transmuter, pour en tirer un enseignement, une certaine élévation, une opération alchimique pour transformer une chose "négative" en leçon "positive". Une sorte de mémoire sur papier pour se rappeler qui l'on est, afin de corriger sa trajectoire et devenir qui l'on a envie d'être.
Nous avons avec ce que nous n'aimons pas une relation secrète qui est de l'ordre de la passion brûlante. Nous sommes tellement plus ardents à ne pas aimer ce que nous n'aimons pas qu'à aimer ce que nous aimons. Tous les jours, nous trompons ce que nous aimons avec ce que nous n'aimons pas.
Je n'ai pas réussi à accrocher avec le côté intime autant que je l'aurais souhaité, comme souvent quand je lis des récits très attachés à la vie privée : je ne m'y sens pas à ma place, et plus encore, je ne peux pas en juger ici. Une vie n'a pas à être soumise à mon opinion. Néanmoins, l'idée de base est intéressante : se mettre à nu, vraiment, insister sur les recoins sombres, travailler avec son ombre, s'affronter dans le miroir et comprendre ce qui déconne, ce qui devrait être mieux, ce qui nous rappelle trop celleux que l'on n'aime pas, et ce qui ne nous rappelle pas assez celleux que l'on aime.
Si nous sommes fascinés par les « salauds de génie » ou par les serial killers, ce n'est pas pour le génie qui est en eux, mais parce que cette hypothèse excuse nos saloperies ou donne une forme à notre masochisme.
Amour, famille, amitié ; envie, jalousie, mépris ; attentes, déceptions, rêves, folie ; maladie, mort, deuil ; corps, esprit, spectres... Beaucoup de thèmes abordés, à la fois dans le cadre de la vie privée, mais aussi d'un point de vue plus spirituel, voire religieux ou mystique. J'ai plus apprécié le côté alchimique de l'histoire, les thèmes qui ont déjà dû être abordés dans le livre précédent de l'auteur La Victoire des Sans Rois, par exemple, que je lirai probablement par la suite - des thèmes qui ont beaucoup en commun avec L'Exégèse de Philip K. Dick, donc, pas étonnant que ça me parle beaucoup.
Mon corps imaginal - forme sans matière, âme électrique - se retrouva à flotter dans un espace entièrement noir et vert de connexions cosmico-informatiques. On se serait cru dans le ventre d'un ordinateur. Et là je pus compulser l'espace de quelques instants la totalité des dossiers de l'ensemble de l'humanité : on comprenait pourquoi chaque personne avait agi comme elle l'avait fait et pas autrement. Des liasses de récits de douleurs, des bottins de souffrances, de déceptions, de vexations, d'incompréhensions. Une algèbre de la misère de la taille du ciel, une étoile par personne.
Si je ne suis pas sûre que je retirerai beaucoup de ce livre - parce que je connais déjà les grands principes évoqués et que le reste est du domaine du privé -, je pense néanmoins que c'est un bon ouvrage pour ouvrir la voie à la bibliographie de l'auteur, et également une bonne alternative pour les personnes qui ne souhaitent pas se lancer dans un livre de développement personnel un peu creux ou dans un ouvrage approfondi de spiritualité gnostique ; pour les personnes qui apprécient la familiarité qu'offre à présent les réseaux sociaux pour faire le point sur sa vie et s'aider des expériences de soi et d'autrui pour améliorer son parcours. Je remercie Babelio et les éditions Massot pour la découverte de cet ouvrage !
Tu m'as donné de la crasse et j'en ai fait de l'or. Cette formule, je savais qu'elle n'était pas de moi mais d'un autre. Elle était la conjuration absolue du malheur. La rencontre du poétique, de l'écologique, de l'alchimique et du politique. Elle pouvait être le résumé de toute une vie. (...) C'est dans l' « Ébauche d'un épilogue pour la deuxième édition des Fleurs du mal », un poème inachevé de 1861, qu'apparaît sa « grande soeur ». (...) « J'ai fait mon devoir comme un parfait chimiste et comme une âme sainte. Car j'ai de chaque chose extrait la quintessence. Tu m'as donné ta boue et j'en ai fait de l'or. »

Bonus : interview sur la page Babelio de l'auteur + vidéo de présentation sur le site de l'éditeur + extraits 1, 2, 3, 4, 5

par Mrs.Krobb

Tu m'as donné de la crasse, et j'en ai fait de l'or de Pacôme Thiellement
Littérature française
Massot éditions, décembre 2019
18,50 euros

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