jeudi 26 mars 2020

"C'est comme ça que je disparais" - Mirion Malle

"Hm. La première fois où j'ai eu le goût de mourir, j'avais genre euh 12 ans ? Mais ça compte pas, ça compte pas celle-là."

Cette bande dessinée raconte la dépression à travers le portrait de Clara, une jeune femme qui travaille dans une maison d'édition et dont le projet est de publier tout bientôt un recueil de poésies inspirées de sa dernière rupture en date. Le récit commence directement dans le vif du sujet, à travers une séance avec sa psy, où elle raconte son goût de mourir, avec l'air très détaché, comme si ça n'était pas si important, avec une psy qui semble sans empathie, qui l'enferme encore plus dans son isolement. Au début, Clara s'accroche et continue de s'entourer, de voir ses amies, et on la voit même s'occuper beaucoup des autres, les aider à surmonter leurs problèmes quand elle-même se voit couler petit à petit. Au fil du temps, la situation devient de plus en plus compliquée, et on voit Clara faire sa descente dans son enfer personnel, ne pas réussir à se concentrer sur son projet, refuser toute sortie, toute présence, jusqu'à finir par toucher le fond et trouver la cause de sa dépression.
"Tu vois... j'avais peur de creuser sous le vide parce que, quand ça explose, il y a tout ça, la rage, la colère, la détresse, l'impuissance... parce que c'est INJUSTE. C'est trop injuste. C'est insupportable. Et puis, dessous... j'ai de la peine... J'ai vraiment beaucoup de peine. J'aurais aimé... j'aurais tellement aimé profiter de ma vie. Profiter de ma vingtaine. Finir mon adolescence doucement. J'aurais voulu avoir ce droit-là."

Le récit s'attarde beaucoup sur la réaction de l'entourage face à la dépression et aux crises d'angoisse, sur la difficulté de s'ouvrir, par peur de ne pas réussir à expliquer, par peur de voir la peur de l'autre, par lassitude de recevoir des conseils inappropriés ou de ne pas être entendue. On y voit la difficulté de trouver un suivi psychologique adéquat, que ce soit à cause du coût financier ou parce qu'il est compliqué de trouver la personne idéale pour nous accompagner. Et puis il y a l'impunité, de ceux qui nous ont fait du mal, qui s'en sortiront toujours, un sujet très présent dans l'oeuvre de Mirion Malle, qui fait echo à la mouvance #MeToo ; il y a la blessure affective de Clara, qui se cache derrière la rupture dont il est question au début, cette rupture qui finalement paraît si peu insurmontable, par rapport à cette sensation d'avoir été souillée à vie, qu'elle exprime ainsi : "c'est moi la victime, mais c'est moi qui suis punie ?" 
"Je suis vide, je ne ressens rien, juste du vide. Avoir le coeur brisé me manque. Être triste me manque. En ce moment, tout est juste trop vide et trop plein en même temps."
Dans la bande dessinée, on alterne entre les pages pleines de dialogues, avec une forte présence féminine, des élans de solidarité, un besoin de perdre son vide dans le trop plein, l'omniprésence des réseaux sociaux, du téléphone et du web pour les personnes qui ont du mal à faire du lien "en réel". Et puis il y a ces pages où la solitude suinte, où l'on ressent à la fois tout d'un coup un grand vide comme un trou noir qui aspire le trop plein d'émotions, sur lesquelles on n'arrive pas forcément à mettre de mots mais qui s'expriment en grand fracas.
Je suis déjà absente
De mon corps, de ma tête
J'ai les yeux mi-clos qui ne s'ouvrent plus
Je pleure comme un ruisseau qui doit forcément couleur.
Je suis
Une petite coquille dure
Qui se brise doucement
Ce qui était à l'intérieur a disparu
C'est le premier livre de Mirion Malle que je lis, mais ça fait longtemps que je suis son travail sur son blog Commando Culotte, où vous pouvez d'ailleurs retrouver un extrait de C'est comme ça que je disparais. J'y ai retrouvé une forme d'intimité, qui fait echo aux blogs et aux journaux intimes, une grande sensibilité, un besoin d'extérioriser, de parler des choses qui ne sont pas toujours faciles à exprimer à son entourage ; il y a aussi, outre l'aspect très important de la santé mentale, l'aspect féministe, le besoin de sororité, et tout plein de petites références culturelles qu'on a déjà beaucoup vues sur son blog et qui sont recensées à la fin du livre : un travail "beaucoup inspiré du travail d'Éric Rohmer et d'Agnès Varda".

par Mrs.Krobb

C'est comme ça que je disparais de Mirion Malle
Bande dessinée franco-canadienne
La Ville Brûle, janvier 2020
19 euros

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