Françoise d’Eaubonne est une théoricienne et activiste incontournable de la seconde moitié du XXe siècle, à la fois par son implication mais aussi, et surtout, pour l’aspect pionnier de son œuvre. Son discours remet en question la mainmise des hommes sur la nature, les principes de la croissance et du progrès à tout prix et esquisse un projet de société égalitaire, autogestionnaire et décroissante.Caroline Goldblum revient sur la vie, le parcours et les oeuvres de Françoise d'Eaubonne, en commençant par une biographie en dates clés et en expliquant son implication dans le féminisme, l'écologie, et "l'écoféminisme", un mot inventé par celle-ci dans les années 70 pour définir le mouvement dans lequel elle s'inscrit. « L’écoféminisme, mouvement atypique au sein de l’écologie politique, peut être défini comme une exhortation des femmes à prendre en main la gestion politique du monde – dirigé par le patriarcat – afin de sauver une humanité condamnée à brève échéance. » Militante, essayiste, romancière, Françoise d'Eaubonne est remise au goût du jour, presque 50 ans après ses années les plus fastes.
«Aucun régime politique, fût-ce celui de l’Âge d’or, aucune invention géniale ne changera ce petit fait désolant : notre planète ne compte que 40000 kilomètres de tour, et rien ne lui en ajoutera un seul. » (...) « La destruction des sols et l’épuisement des ressources signalés par tous les travaux écologistes correspondent à une surexploitation parallèle à la surfécondation de l’espèce humaine. Cette surexploitation basée sur la structure mentale typique de l’illimitisme et de la soif d’absolu [...] est un des piliers culturels du Système Mâle. »Féministe, elle revendique le droit des femmes à disposer de leurs corps librement, et donc notamment à pouvoir avoir accès à la contraception et à pouvoir choisir l'avortement, mais elle défend aussi celles qui refusent le mariage, celles qui ne veulent pas avoir d'enfants, ainsi qu'elle milite pour les droits des homosexuel•les. Pour elle, il est nécessaire d'abolir le patriarcat, non seulement pour libérer les femmes, mais aussi pour s'inscrire dans un courant écologique, faisant le parallèle entre la façon dont est traitée la planète et la façon dont sont traitées les femmes. Ce parallèle, elle le met en lumière dans son livre Le féminisme ou la mort, paru en 1974, et dans l'Appel des Femmes à la grève de la procréation (1).
De manière générale, en France, le rapprochement entre écologie et féminisme est sujet à controverses. Comme aux États-Unis, les féministes matérialistes françaises s’opposent avec virulence à l’essentialisme: pour nombre d’entre elles, évoquer la nature ou encore la «féminitude» est risqué. L’héritage de Simone de Beauvoir (la nature en tant que principe doit être dépassée et transcendée) est encore très présent. Bien que Françoise d’Eaubonne ne se soit jamais réclamée des théories différentialistes, l’essentialisme supposé de ses travaux a sans doute participé de leur invisibilisation, sinon de leur tenace mésinterprétation.Mais, plus en avant encore, Françoise d'Eaubonne est farouchement anti-capitaliste, et prône la décroissance, la diminution du temps de travail, l'égalité des salaires PUIS l'abolition du salariat. C'était aussi une activiste antinucléaire. Selon elle, le retrait du nucléaire mais aussi la réduction de fabrication de plastique et la réduction et suppression de publicité excessive permettrait de se recentrer sur les énergies plus naturelles et durables, sur l'amélioration des sols et le reboisement. La croissance qu'elle prône, qui va de pair avec la décroissance, n'est donc pas économique mais écologique (2).
Le cycle consommation-production actuel lié inéluctablement à l’expansion industrielle, fruit des structures mentales du phallocratisme, peut être démonté de la sorte : 80 % de produits superflus dont 20 % environ parfaitement inutiles doivent être jetés sur le marché au prix d’une nuisance et d’une destruction du patrimoine en courbe ascensionnelle; pour ce faire, il faut disposer d’un temps de travail équivalent en gros à 80 % d’une vie humaine, c’est-à-dire à une aliénation pratiquement totale. Ce n’est pas tout : ces objets superflus ou inutiles doivent être éphémères et renouvelables, ce qui augmente la nuisance et la destruction.Deux combats qui continuent toujours aussi fort aujourd'hui, d'où la nécessité de retourner aux sources des mouvements, de connaître les grandes figures de ce militantisme et d'y piocher des arguments, de voir les avancées (ou piétinements, ou grands bonds en arrière). Je ne connaissais pas Françoise d'Eaubonne, donc ça a été une découverte pour moi, et je remercie les éditions du passager clandestin, que je recommande par ailleurs chaudement, à la fois pour ses essais engagés et éclairés et sur sa collection de livres de science-fiction qui s'inscrivent toujours dans des luttes sociales, économiques, technologiques ou écologiques.
Le rétablissement et l’investissement dans la société internationale des valeurs jadis arbitrairement attribuées au «Féminin» à la fois pour en «débarrasser» les mâles au pouvoir et à la fois pour intégrer ces valeurs en parentes pauvres du système universel. Bien que calquées sur certaines structures de base des très vieux matriarcats agraires (pacifisme, quiétisme, sensibilité ludique, égalitarisme, jouissance plutôt que pouvoir et connaissance des limites plutôt qu’expansion), ces traits et ces dispositions se trouvaient aussi dans l’homme-mâle que le sexisme, grâce au patriarcat, a entrepris de mutiler de toute « effémination ».Bonus : extraits 1, 2, 3, 4, 5
par Mrs.Krobb
Françoise d'Eaubonne & l'écoféminisme de Caroline Goldblum
Littérature française
Le passager clandestin, septembre 2019
10 euros
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