mardi 10 mars 2020

"Moitiés d'âme" - Anthelme Hauchecorne

D'abord naquit le Printemps, la Première des Quatre Maisons. Ses loyaux sujets s'adonnaient aux arts de la vie et du désir. Le Trône de Ronces offrait asile aux artistes, aux hédonistes et aux érudits.
La Deuxième Cour à voir le jour fut l'Été, la Maison du Soleil ardent, des esprits surchauffés et du sang vif, prompts à la colère. Au pied du Trône Forgé et de son despote se prosternaient les ambitieuses, les guerrières et les stratèges.
Puis vint l'Automne, le reflet déformé du Printemps, la saison du pourrissement et de la terre affamée, dévoreuse de vie. Les malades, les souffrantes et les Faëes trop curieuses des mystères de la mort, toutes répondirent à l'appel du Trône Défunt.
Quant à l'Hiver, la plus jeune des Quatre Maisons, elle dut se contenter des restes. La faim, le froid, le vent dans les branches nues. La Quatrième Maison se posa en éternelle rivale de l'Été. Elle incarnait la famine après l'abondance, les regrets qui succédaient à la colère. Autour du Trône de Givre se rassemblaient les blessés, les brisées, les parias, les Faëes dont les autres cours ne voulaient plus.
(...) En un jour ancien et depuis oublié, les Humains arrivèrent sur le continent...
Avec eux, ils amenèrent le Cinquième Trône.
Moitiés d'âme constitue le premier tome des Chroniques des Cinq-Trônes. Dans ce livre, l'auteur nous conte un monde imaginaire, régi d'abord par les Faëes, puis par les Humains. Un monde de mägerie faërique, un monde post-guerre interraciale, dont on ne sait encore que peu de choses, si ce n'est qu'il s'agit d'un monde divisé à bien des égards. Nous suivons une caravane d'un petit groupe de mäges et non-mäges, décidés à se révolter contre l'ordre établi, ou bien à fuir, ou bien les deux. Parmi eux, Rollon, en contact avec une Faëe, qui semble le mener par le bout du nez, et sa compagne Liutgarde, bien décidée à mettre en déroute cette manipulation.
Le Petit Peüple était là le premier. La mägerie lui appartenait. Puis vinrent les humains. Alors des Faëes, pour un éventail de raisons, se prirent d'affection pour certains d'entre eux. À leurs favoris, elles enseignèrent les bases du bel art. Ainsi la caste des mäges fit-elle son apparition. De génération en génération, le don se légua et les mäges prospérèrent. Toutefois, malgré leurs efforts, ces derniers se rendirent à l'évidence : leur mägerie demeurait imparfaite. Elle n'était au mieux qu'une pâle imitation.
Un premier tome déjà bien complet qui se suffit presque à lui-même. Le décor est planté, avec d'un côté le monde des Humains et de l'autre la forêt des Faëes ; un monde remplis de secrets, des personnages qui cachent plus d'un côté sombre, qui ne se révèlent que petit à petit, et des ennemis redoutables, des tous les côtés. Une ambiance froide, terreuse et glacée, sombre comme une forêt dense, à la limite du lugubre sans en faire trop, avec quand même quelques étincelles de bienveillance, d'espoir et d'amour. Les secrets demeurent nombreux et nous donnent envie d'en savoir plus sur ce monde redoutable.
Les Maîtres l'avaient placé au Mägistère. Ce pensionnat était bien des choses, sauf un foyer. L'endroit possédait un toit, mais ce dernier ne vous protégeait pas. À l'intérieur, les coups pleuvaient. Le Mägistère entretenait un feu, ce dernier n'était néanmoins d'aucun réconfort. On y brûlait les billets doux, les courriers, les dessins, les poèmes, tout réconfort véritable.
Si la construction des personnages et de leurs relations semble au premier abord un peu légère, superficielle ou bourrée de clichés, et si les dialogues manquent au début parfois de profondeur, il n'en reste pas moins que l'écriture de l'auteur a bien muri, qu'elle s'est développée pour devenir bien entraînante, et que le tome gagne en densité au fil des pages. Je regrette que certains personnages aient été construits pour être moqués, même si leur histoire s'approfondit par la suite, mais j'ai apprécié de voir un couple de femmes dans les personnages principaux. Sans spoiler, j'ai beaucoup accroché à la fin de l'histoire.
Le Petit Peüple méprisait le papier, qu'il jugeait éphémère. Il lui préférait une matière durable, un support millénaire... Avant les livres, les reliures, la pâte à papier et la sciure, il y avait le bois... Les arbres...
L'univers est travaillé, complexe, et les retournements nombreux. Le monde des Humains est clairement critiquable et critiqué, et pour une fois, le monde des Faëes n'est pas un royaume enchanté et enchanteur, bien que le livre lui-même le soit, en tant qu'objet : tranche décorée, ruban marque-page, quelques illustrations représentatives du territoire et des trônes, belle typographie. Néanmoins, l'ambiance est posée : guerre, cupidité, cruauté, division, castes, exil, manipulation... Le fait que ce monde repose sur les saisons me plait (rappelez-vous La Cinquième Saison de N.K. Jemisin) pour son côté à la fois archétypal et organique, vous reprendrez bien une dose d'hiver avant le retour du printemps ?
[Les horreurs s'effaceront. Hélas. Les horreurs jamais ne servent de leçons.]
[Ainsi va la guerre.]
Bonus : extraits 1, 2, 3, 4, 5, 6

par Mrs.Krobb

Les Chroniques des Cinq-Trônes, t.1 : Moitiés d'âme de Anthelme Hauchecorne
Littérature française
Gulf stream, octobre 2019
20 euros

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire